The Fallout – La vie après un traumatisme

J’ai regardé l’autre jour le film The Fallout, dont j’avais vu des extraits sur internet. Il a été réalisé par Megan Park en 2021 (qui n’a que deux films à son actif en tant que réalisatrice, le deuxième étant « My old ass », qui est aussi un super film, n’en déplaise aux lesbiennes biphobes).

En première lecture, c’est un film qui dénonce les fusillades dans les lycées américains (pays où il est bien trop facile, y compris pour des adolescents, d’acheter une arme à feu).

Mais c’est bien plus que cela.

La fusillade, parce qu’il y en a bien une, ne dure que quatre minutes (dix, si on compte les scènes d’introductions qui la précède) dans un film qui dure une heure et demie.

Le focus : c’est l’après. Le post-traumatisme.

L’histoire, c’est celle de Vada, une adolescente ordinaire (jouée par Jenna Ortega, si c’est un argument pour vous) quoi qu’un peu marginale (elle porte des vêtements oversized qui lui donnent un air butch, et son meilleur ami est gay).

On nous montre qu’elle est proche de sa famille, en particulier de sa petite sœur Amélia. C’est d’ailleurs pour répondre à un appel à l’aide se cette dernière (qui vient d’avoir ses règles pour la première fois) qu’elle se retrouve dans les toilettes avec Mia (une danseuse star des réseaux, jouée par Maddie Ziegler, venue pour se remaquiller avant la photo de classe) au moment où des coups de feu se font entendre, à proximité.

Les deux ado se cachent dans une cabine, où elles sont rejointes par Quinton (Niles Fitch), qui vient de voir mourir son frère.

Peu après, on entend un policier crier « dépose ton arme! » et la scène se termine.

Pour les personnages, ce n’est pourtant que le début.

Car, comme dit, le vrai sujet: c’est l’après.

Au fond, qu’importe la raison précise du traumatisme. Il se trouve que c’est une fusillade (parce que tout le monde comprend que c’est traumatisant d’être pris dans une fussillade, même les pro-guns), mais ça aurait pu être n’importe quoi. Ce qui importe selon moi dans ce film, c’est vraiment les conséquences. Le ptsd.

Or ce film montre ça avec brio. Au point que j’ai voulu lui consacrer un article.

Traumabond

Une bonne partie du film se concentre sur la relation naissante entre Vada et Mia.

C’est intéressant parce que le film établi très vite que ces deux personnages ne seraient probablement jamais devenues amies si elles ne s’étaient pas trouvées ensemble au pire moment, dans les toilettes.

Ça se voit dans leurs looks, dans leurs caractères, dans leurs styles de vie également (Vada est très proche de sa famille alors que Mia est très seule: littéralement on ne voit pas ses parents du film car les deux sont des artistes en déplacement international qui font le choix de ne pas écourter leur séjour, laissant leur fille unique se débrouiller seule.)

Pour autant, après le drame, Vada se rapproche d’elle et s’éloigne de ses proches.

Et ça, c’est un truc un peu caractéristique, particulièrement au début du ptsd: le besoin de s’entourrer de gens qui comprennent. Qui ont vécu pareil.

Des gens à qui on n’a pas besoin d’expliquer, parce qu’iels savent.

La famille de Vada ne fait pas d’impair. Mais elle n’était pas là. Et elle n’est pas psychologue. Elle ne sait pas à quel point s’inquiéter ou encourager ou bousculer ou… Elle fait au mieux, reste à l’écoute, mais ne sais pas que faire.

De son côté : Vada les aime, mais elle ne va pas bien, et elle ne veut pas les inquiéter.

Elle veut juste être « low-key »: se reposer, regarder des vidéos, rigoler, ne pas se prendre la tête. Ne pas penser à la fusillade. Le faire cependant avec des gens qui comprennent à quel point cela est une façade, parce qu’iels ont la même.

Une scène marquante, à ce propos, est un échange entre Vada et Quinton:

[Vada] Parles-moi de ton frère. J’ai envie d’en savoir plus sur lui.
[Quinton] Il était, euh, discret, au premier abord. Mais il voyait tout, tu sais? Genre il disait « oh cette fille va rentrer avec ce gars, et ce gars va s’en aller avec cette fille, et… » il avait toujours raison. Il était drôle. Genre il me faisait toujours rire.
[…] La plupart des gens ne me parlent jamais de lui. Ils croient que je vais me mettre à chialer ou j’sais pas. Euh… Donc merci.
[Vada] Tu pourras toujours parler de lui avec moi.
[The Fallout, traduction maison car j’ai vu le film en VO)

La plupart des gens sont bien sûrs désolés pour Quinton, ils savent comme ça doit être difficile d’avoir perdu un frère, de l’avoir vu mourir sous ses yeux, d’avoir eu son sang sur son T-shirt. Trop difficile. Ça dépasse le cadre de ce qu’ils arrivent à se figurer vraiment. Aborder le sujet, c’est amener un malaise dans la pièce. Ils préfèrent parler d’autre chose. Ou alors ils en font trop.

Pour Vada, c’est différent. C’est même exactement l’inverse: quand elle parle à Quinton, le fait qu’il pense au pire n’est pas un problème, puisque c’est aussi à ça qu’elle pense. Et réciproquement : ça crée un espace où elle n’a plus à craindre d’être celle qui est « trop », parce que son trauma déborderait.

Ça lui permet de se sentir normale. Même si ce n’est qu’une illusion.

C’est précisément ce dont elle a besoin, même si ça l’isole aussi du reste du monde.

À bien y réfléchir, je crois que c’est à ça qu’on reconnait la première étape d’un ptsd : l’incapacité d’avoir des relations normales avec des gens qui ne comprendraient pas exactement ce par quoi on est passé. J’veux dire, si vous me suivez depuis un moment, vous devez l’avoir remarqué : y’a eu une période, pendant le harcèlement transmisogyne de ma meuf, où je ne pouvais pas parler d’autre chose. Et j’ai su que j’allais mieux quand j’ai à nouveau été capable d’interagir avec des gens sans devoir leur expliquer en préambule, et par le menu, toutes les dynamiques de cette violence qui s’abattait autour de moi (ce qui m’isolait, car on ne peu pas faire ça).

Le trauma isole.

Et en même temps, il rapproche les traumatiséés.

Entre Vada et Mia, le courant passe dès les premiers échanges (voir sms ci-dessous) : elles sont sur cette même longueur d’onde de : avoir envie d’être normales, ne pas spécialement parler de la fusillade mais savoir que c’est là.

Les deux jouent un rôle, à minimiser à quel point elles vont mal (à coup d’émoji souriants quand elles évoquent leurs peurs, ou plus concrètement peut-être : quand Mia fait semblant de marcher sur place pour que Vada qui sonne à sa porte ne voit pas qu’elle attendait nerveusement derrière depuis un moment).

Aucune des deux n’est dupe. Et aucune des deux n’essaie d’ôter le masque de l’autre. C’est ce qui permet à cette petite comédie de fonctionner. Et dans les intervalles : de dire la vérité.

[Vada] J’peux te demander un truc ?
[Mia] Mmm-hmm
[Vada] Est-ce que genre… t’as fait les pires cauchemars cette nuit ?
[Mia] Faut arriver à dormir pour faire des cauchemars…
[The fallout, trad maison]

Je ne sais pas à quel point les gens qui ne sont pas passé par des choses similaires (aka un trauma) peuvent le voir, mais y’a quelques choses de brillant dans l’écriture des dialogues tout au long de ce film. Comme une essence de la vraie vie. Au point que je dois me retenir de ne pas citer la totalité du film (vraiment allez le voir).

Vada et Mia se rencontrent doucement. Elles font des conneries, parfois, comme elles sont seules dans la maison « sans parents » de Mia. Mais leurs activités restent ordinaires la plupart du temps. Elles regardent des vidéos, mangent, parlent de leurs familles et habitudes, se baignent dans la piscine de Mia ou se détendent dans son sona.

Les indices que quelque chose cloche ne prennent pas toute la place : ils sont dans l’énorme verre de vin que Mia offre par défaut à Vada dès le premier jour, vin que Mia semble aimer un peu trop (elle a un verre en main dans la plupart des scènes, toujours bien rempli, elle n’a pas l’air d’en prendre à une dose qui l’empêche de fonctionner, mais ça reste une consommation anormale pour une ado de seize ans), dans le joint qu’elles fument ensemble (c’est une première pour Vada). Les ados qui vont bien ne demandent pas à leurs potes de rester à leur côté jusqu’à ce qu’iels s’endorment.

L’équilibre se fait entre le positif et le négatif, et penche du côté de la douceur. De l’amour.

Y’a des conneries, mais elles ne sont pas graves : Elles sont racontées de l’intérieur, avec cohérence. On voit bien qu’elles ne deviennent pas des erreurs récurrentes, qui finissent par causer des torts à long terme.

Par exemple, quand, poussée à reprendre les cours, Vada décide sur un coup de tête d’acheter de la drogue (« E » en anglais, qui est une des appellation de l’ecstasie d’après mes recherches) au dealer de son lycée : ça n’en devient pas une habitude. Ça ne fait pas pencher sa trajectoire vers l’addiction. C’est quelque chose qu’elle n’aurait pas du faire (mauvaise idée de tripper dans son lycée) mais elle en a conscience, et elle ne recommence pas. Ça ne laissera pas de trace indélébile.

Pareil : quand, un soir d’ébriété, Vada et Mia couchent ensemble, c’est loin d’être idéal (parce qu’elles sont bourrées). Pour autant les deux sont dans le même état, et tiennent à l’amitié qu’elles ont construite, et elles peuvent ensemble décider que ce n’était pas grave, et qu’elles ne regrettent pas.

Il a a ce truc très marquant, à la fin du film, quand Vada arrive enfin à parler avec sa mère de tout ce qu’elle traverse : le contraste entre la perception de Vada (dont on a suivi le point de vue jusque là) et la manière dont, soudain, toutes ces choses qui n’avaient pas l’air graves sonnent aux oreilles d’une mère (même d’une mère qui ne veut pas être dans le jugement).

[Vada] Je vais essayer d’être plus honnête avec toi. Sur ma vie.
[Maman] Tu sais quoi, ça me ferait vraiment, vraiment plaisir.
[Vada] Ça a été dur.
[Maman] Mmm-hmm
[Vada] Et je sais pas pourquoi j’arrivais pas à t’en parler, parce que j’voulais pas te faire peur. Et t’avais raison, j’étais bizarre cette fois où je suis rentrée bourrée, parce que j’avais vraiment couché avec quelqu’un. Et j’étais un peu défoncée aussi. Mais pas autant que cette fois sous ecsta. My god, c’était intense. […] mais je… Je te dis tout ça parce que je veux que tu saches que je ne vais plus jamais faire ces trucs. Tu sais les mauvais… les mauvaises choses.
[Maman, l’air paniqué] Mmm-hmm. Ok. Bon, merci de… euh… me faire confiance… avec ces informations.
[Vada] C’était trop ?
[Maman] Non ! Je… digère
[Vada] T’en fais pas, c’était avec une fille.
[Maman] Hmm ?
[Vada] Le sexe. C’était avec une fille. Alors c’est pas comme si j’allais tomber enceinte. C’est un bonus, pas vrai ?
[Maman] Ouais… Un bonus… [elle boit cul sec plusieurs longues gorgées de vin blanc] Ok. Je suis prête pour continuer cette discussion, maintenant.
[The fallout, trad maison]

Je trouve ça génial parce que le film nous met dans la perspective de Vada, à l’échelle du traumatisme, qui brouille un peu ce qui est grave et ce qui ne l’est pas, ce qui est normal et ce qui ne l’est pas.

Et ça, même si mes trauma n’ont pas les mêmes causes que ceux de Vada (je n’ai jamais vécu de fusillade) et que je n’ai eu les mêmes mécanisme de cope (vraiment pas mon genre de siroter des verres de vin xD), ça fait que je me suis rarement sentie aussi représentée qu’en regardant ce film.

Dissociation

J’ai parlé de la manière dont Vada s’éloigne des gens qui ne partagent pas son vécu traumatique. Mais en réalité, elle s’éloigne aussi de son meilleur ami : il est dans le même lycée, il a vécu la fusillade aussi, mais les deux personnages ont des manières trop différentes de réagir (quoi qu’elles relèvent au fond d’une même dynamique).

[Vada, à sa psy] Au lycée, y’a tellement d’élèves, surtout l’un de mes plus proches amis, Nick, que j’aime si fort, hum… qui ont réussi à prendre ce qui est arrivé, et… à littéralement s’en servir pour changer le monde. Genre : ils font tellement de choses incroyables et… pour je ne sais quelle raison je me sens incapable d’en faire autant. J’ai l’impression que ça a juste ruiné notre amitié. Ça craint. Parce qu’il me manque vraiment, vraiment beaucoup.
[The Fallout, trad maison]

Vada s’éloigne de Nick parce que Nick ne fait que parler de la fusillade. Il est devenu activiste pour faire interdire les armes. Il fait des discours que Vada, même au calme chez elle, n’arrive pas à écouter en entier.

Elle, elle n’a pas envie d’y penser.

Elle n’a pas envie que ce soit toute sa vie.

En vérité, pour être du genre à avoir besoin de dénoncer les violences à l’origine de mes traumatismes (d’un point de vue systémique, hein, pas pointer un bouc émissaire du doigt), je suis bien placée pour savoir que ce n’est qu’une autre façon de ne pas se laisser submerger.

Les deux approches ne sont pas incompatibles, d’ailleurs : On peut à la fois militer et avoir besoin de retrouver une certaine normalité où on pense à autre chose (en ayant des discussions légères, des activités sympa, en s’abrutissant devant des vidéos un peu bête, en fumant ou buvant, etc).

Dans tous les cas, on en revient à l’essence-même du traumatisme : il y a une dissociation qui se fait entre nous-même et le monde. C’est un mécanisme de défense : Quand ce qu’on vit est trop dur pour qu’on puisse le supporter, on s’en coupe.

Et ensuite… la connexion est difficile à rétablir.

Et ça, c’est exactement ce qui arrive à Vada. Elle le dit à sa psy d’ailleurs, dès la première séance, même si elle ne fait pas le lien avec la fusillade :

[Vada, à sa psy] Je suis juste très chill. Genre je suis vraiment pas quelqu’un qui se prend la tête. Alors quand il est question de trucs émotionnels ou de drama, j’suis en mode « ok, est-ce vraiment très productif ? »
[The Fallout, trad maison]

Tout le travail de sa psy, c’est de la guider pour l’aider à ressentir à nouveau. (Et au passage, là encore : très bonne représentation de consultations en psychologie. Où la psy se met au niveau de sa patiente, notamment en l’occurence en plaisantant avec elle, mais n’oublie pas de la challenger pour autant. En insistant : « Qu’est-ce que tu ressens là maintenant ? – Je ne sais pas. – Si, tu sais. – Hum. Je suis en colère » etc etc)

Ce qui est intéressant, avec le parcours de Vada, c’est qu’elle doit d’abord se rendre compte qu’elle n’arrive plus à ressentir les choses. Nous de l’extérieur, quand on la voit les yeux rivés sur son téléphones, en train de trembler, et qu’on a déjà vécu la dissociation : on sait très bien ce qui se passe. On sait qu’elle scrolle jusqu’à sombrer dans le sommeil parce qu’elle n’arrive pas à être seule avec ses propres pensées et ressentis. Mais Vada à 16 ans, elle n’a pas d’intérêt spécifique sur la santé mentale et elle n’a jamais vécu de traumatisme avant. Elle peut rester persuadée que c’est son mode de fonctionnement normal, de personne « chill » qui n’aime pas s’encombrer d’émotions.

Et ce qui est marquant, à ce propos, en lien avec la partie précédente, c’est que la réalisation est parfois chaotique.

Une raison que je n’ai pas encore évoquée, sur pourquoi les sorties de route de Vada ne sont pas « graves », c’est qu’elles font aussi partie de ce qui l’a fait avancer. Car d’une manière ou d’une autre, c’est à l’occasion de son premier pétard qu’elle arrive à s’avouer à quel point elle est déconnectée d’elle-même.

[Vada] Tu peux être avec moi pour genre 2.5 secondes ? Est-ce que je suis chiante ? Parce que j’ai l’impression, genre, pour moi, que cette week me rend un peu bavarde. Genre je me sens même plus triste à ce stade, je suis juste bavarde. Et je sais pas, c’est un problème ? Et toi, tu te sens comment ?
[Mia] Je me sens chill.
[Vada, avec frustration] Tu te sens toujours chill. [Elle se calme soudain] Je ne ressens rien. Merde. Je déteste la beuh.
[The Fallout, trad maison]

Évidemment, il n’y a pas que ça. On ne se remet pas d’un syndrome de stress post-traumatique en fumant du cannabis. Vada a aussi un suivi psy de qualité (dont j’ai déjà parlé), et des parents qui la soutiennent.

À ce titre, j’aime beaucoup la scène entre Vada et son père, où se dernier l’encourage à exprimer ses émotions, quitte à être bruyante.

[Vada] Je sais pas ce qui ne va pas chez moi.
[Papa] Y’a rien qui ne va pas chez toi.
[Vada] Oh, papa, Je… Je me sens si… vide.
[Papa] Vada, tu as traversé des choses que personne ne devrait avoir à traverser […].
[Vada] Putain la vie est difficile… Pardon, d’avoir dit « putain ».
[Papa] Non, t’as raison. [Il se lève pour crier] La vie est si difficile, putain !
[Vada] Papa…
[Papa] Quoi ? Y’a personne dans ce parc. Essaie. Ça fait du bien. La vie est si violente, putain !
[Vada, un air de doute dans le regard] Ouais ! … Putain !
[Papa] La vie est si déstabilisante, putain !
[Vada] Je n’arrive plus à ressentir quoi que ce soit, putain !
[Papa] Bien dit.
[The Fallout, trad maison]

C’est un long chemin pour se reconnecter à soi-même.

Et même quand ça va mieux, il y a toujours des choses qui peuvent entrainer des rechutes : des triggers.

La mère de Vada a raison de dire qu’elle doit reprendre le chemin de l’école, qu’elle ne peut pas procrastiner cette étape pour toujours (des fois, les choses font d’autant plus peur qu’on les a évitées longtemps). N’empêche que : si Vada avait l’air d’aller mieux en dehors du bahut, y retourner est une véritable épreuve. Entre les nouveaux cours de sensibilisations instauré pour que la tragédie se ne reproduise pas, et le fait qu’elle n’arrive pas à rentrer dans les toilettes, elle a trop de rappels qui lui font passer une journée horrible.

Le film ne s’illusionne pas sur ce point : un traumatisme ne disparait jamais vraiment, il devient juste moins envahissant. À la toute fin, Vada va mieux. Elle va même bien, quand elle va chercher Mia à la fin de son cours de dance. Elle a l’air heureuse à nouveau. Et pourtant, une simple notification peut suffire à lui déclencher une crise de panique.

Dégâts collatéraux

Je l’ai déjà évoqué à deux reprises : il y a un moment dans le film où la mère de Vada estime (probablement en accord avec l’avis de la psy) qu’il est temps pour sa fille de retourner à l’école.

J’aimerais maintenant m’arrêter sur la manière dont cette conversation se déroule.

Car de prime abord, Vada est loin d’être fermée à la discussion sur ce sujet.

Ça a été établi dès les premières minutes du film : elle a une très bonne relation avec sa famille, en qui elle a confiance et qui a confiance en elle.

Quand la mère de Vada dit « j’aimerais qu’on parle de l’école », Vada retire les écouteurs de ses oreilles pour prêter attention. Elle se referme seulement quand elle apprend qu’elle n’a plus le choix : qu’elle va devoir retourner au lycée.

Elle est en colère.

Pour couper la conversation, elle change de sujet. Elle dit :

[Vada] Tu sais qu’Amélia a eu ses règles ?
[Maman] Quoi ? Quand ?
[Vada] Y’a une éternité. Je suppose qu’elle voulait juste pas que tu le saches.
[The Fallout, trad maison]

Ce n’est pas vrai, qu’Amélia ne voulait pas que sa mère sache.

Le truc c’est que ses règles : Amélia les a eues le jour-même de la fusillade. C’est d’ailleurs pour cela que Vada était dans les toilettes : pour répondre à l’appel à l’aide de sa petite sœur, qui avait besoin d’en parler, et qui s’est tournée vers sa grande sœur pour ça.

Le sujet est passé sous le tapis parce qu’il y a eu d’autres choses à gérer d’abord. Et il n’est jamais revenu sur la table.

D’une manière où d’une autre, Amélia a été oubliée. Et sa mère ne s’en est pas rendue compte.

En fait, en introduisant Amélia avec cette histoire de règle, le film établi la force de la relation entre les deux sœurs, et des attentes précises d’Amélia vis à vis de Vada : cette dernière avait promis qu’elles iraient diner ensemble pour parler de règles, chose qui ne s’est jamais faite mais qu’Amélia a continué d’attendre. C’est pour cela qu’elle n’en a pas parlé à sa mère : elle espérait encore que les choses reviennent à la normales, que sa sœur et elles puissent avoir ce moment qu’elles s’étaient promis, avant le drame.

C’est quelque chose que la fusillade lui a retiré, même si elle n’y était pas.

Ça, et une complicité au sens large.

Plus quelques détails d’apparence insignifiante comme le fait que Vada ferme à présent à clef la porte de la salle de bain quand elle se brosse les dents (chose qu’elle ne faisait jamais avant) et dise à sa sœur de fiche le camp quand elle veut entrer.

Dans le film, il y a une scène qui manque de me faire pleurer à chaque fois (même quand je la regarde au ralenti pour la retranscrire et que ça perd un peu le flux) : quand Amélia, qui se sent rejetée et abandonnée (et elle l’est) prend son courage à deux mains et va en parler à Vada.

Elle entre dans la chambre de sa sœur, dit qu’elle n’arrive pas à dormir, et puisque Vada ne lui dit pas tout de suite de s’en aller, elle se glisse d’un air résolu sous les draps.

[Amélia] Je suis désolée que tu aies faillit mourir à cause de moi.
[Vada] Mais de quoi tu parles ?
[Amélia] Si je ne t’avais pas texté à propos de mes stupides règles, tu n’aurais pas quitté la classe. T’aurais été en sécurité. Tu aurais pu mourir…
[Vada] Ça n’est pas vrai.
[Amélia] Si, c’est vrai. Le frère de Quinton est mort parce qu’il marchait dans ce même couloir.
[Vada] Il n’y avait pas d’endroit sûr. Ce n’était définitivement pas ta faute.
[Amélia] Alors pourquoi est-ce que t’es si en colère après moi ?
[Vada] Je ne suis pas en colère après toi. Pourquoi tu penses toujours ça ?
[Amélia] Parce que… Tu n’es plus jamais à la maison. Tu ne me parles pas. Tu n’es jamais venue diner avec moi pour parler… des règles.
[Vada] Je suis désolée, mais je ne suis vraiment pas en colère après toi… Je peux te dire quelque chose que je n’ai encore dit à personne ? On était dans les toilettes. Et dans la cabine où on s’est cachés, il y a eu un moment où j’ai vraiment cru que j’allais mourir. C’était le moment le plus terrifiant de ma vie. Et la seule personne à laquelle j’arrivais à penser, c’était toi. Tu te rappelle le « moi aussi, je t’aime » que je t’ai envoyé ? J’ai cru que je n’avais le temps d’écrire qu’à une seule personne. Alors je t’ai écrit à toi.
[Amélia] Je savais pas.
[Vada] Tu es ma personne préférée au monde, Millie.
[The fallout, trad maison]

La peur de l’abandon, la culpabilité parce qu’on n’a pas pu empêché le pire (même quand on sait très bien qu’il n’y avait rien à faire, voir qu’on a déjà tout fait pour endiguer au maximum)… je ne connais que trop bien.

Y’a ptet même quelque chose qui soigne, dans cette scène. Parce qu’Amélia est une enfant, et qu’on la réconforte comme telle: en ne la jugeant pas de se sentir si triste. Parce qu’à douze ans, une promesse non tenue et une rupture de complicité avec la personne dont on était le plus proche : c’est légitimement la fin du monde.

Je l’ai déjà dit, mais je le dis encore : ça fait longtemps qu’un film n’avait pas autant résonné.

Vraiment : allez voir the Fallout

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