A partir de quel moment peut-on dire « je suis écrivain » ? Quand on a envie d’écrire quelque chose, même si on a pas encore posé le premier mot ? Quand on a entamé un projet d’écriture ? Quand on a finit le premier jet d’un roman ou d’un recueil ? Quand on a demandé l’aide de bêta lecteur ? Quand on est arrivé à une version satisfaisante de son texte ? Quand on a trouvé une maison d’édition ? Quand on a notre livre entre les mains ? Quand quelques lecteurs ont acheté notre texte et s’en sont déclarés satisfait ? Quand des médias ont parlé de nous ? Quand on a gagné un prix ? Quand le prix devient prestigieux ? Quand on est réédité en poche ? Quand nos droits d’auteurs sont suffisant pour nous permettre d’être affilié à l’Agessa ? Quand on peut vivre de sa plume ? Quand on apparait dans les programmes scolaires ? Quand on est mort et que l’histoire ne nous a pas oublié ? Depuis combien de temps faut-il être mort pour que l’on puisse considérer nos textes comme des contributions à la postérité ?
De temps en temps, je tombe sur une émission sur l’auto-édition, avec la rencontre d’un auteur à succès venu spécialement sur le plateau pour vendre du rêve avec ses millions exemplaires vendus. Le journaliste demande « alors, qu’est-ce que ça fait d’être écrivain ? », et l’autre prend une mine un peu gênée pour dire que non, il n’est pas vraiment écrivain, il a juste écrit des livres qui se sont vendus.
Et moi, j’ai envie de les secouer, de leur dire : « Hey, l’ami, puisque tu écris, et puisque c’est même rentable pour toi, profite en pour dire qu’être écrivain est un vrai métier plutôt que de te discréditer comme ça ! »
Mais au fond, je ne suis personne pour dire à leur place ce qu’ils sont ou ne sont pas. S’ils ne se qualifient pas eux-même d’écrivains, peut-être en effet ne le sont-ils pas ?
Peut-être la question n’est-elle pas bonne. Peut-être ne devrait-on pas se demander à partir de quand on est écrivain, parce qu’on l’est ou qu’on ne l’est pas, et que tous les « quand » ne sont que des symptômes.
Puis-je dire que je suis écrivain comme je peux dire que je suis hypermétrope, myope et astigmate ? Que je le resterais avec ou sans livre comme avec ou sans lunettes ?
Être publié, puis-je présenter cela comme un équivalent d’être binoclard ?
Certains écrivent comme ils porteraient des lunettes de soleil, pour se sentir beaux, et un peu protégés de l’oubli (/du soleil). Certains écrivent avec le temps, commençant à éprouver un besoin de témoigner comme ils deviennent presbytes. D’autres écrivent toute leur vie, et s’il ne portent pas de lunettes, ils ne voient pas mieux pour autant.
Être écrivain, peut-on dire que c’est une autre maladie des yeux qui ferait voir le monde juste un petit peu mieux ou juste un petit peu moins bien ? Une affliction qui forcerait à se poser des questions et qui donnerait du même coup une envie folle de partager ses pistes de réponses ?
En disant « je suis écrivain », suis-je prétentieuse, moi qui ne suis pas lue ? Ou au contraire suis-je trop modeste de ne pas oser l’affirmer sans point d’interrogation ?