Il y avait cette chanson d’Anne Sylvestre, sur l’album numéro 5 des fabulettes : « la petite rivière ».
De ma vie, c’est la chanson que j’ai le plus chantée. Je la jouais en boucle dans ma tête quand mes parents m’emmenaient en randonnée, du pied jusqu’à la cime de la montagne, pendant quatre heures, je n’avais qu’un refrain, je marchais au rythme lent de cette mélodie :
La petite rivière, elle est toujours couchée, toujours couchée
La petite rivière, elle peut pas se lever, pas se lever
Mais elle chan-ante, mais elle chan-ante
Toujours elle sourit, toujours conten-en-ente,
Elle ne se plaint jamais et quand il ven-ente
C’est elle qui vient rassurer ceux qui vivent à ces côtés
Ces tourbillons, ces friselis, renferment les rayons du soleil
Dans son lit
Dans mon lit, je la chantais aussi, c’est la seule chanson dont on m’ait jamais dit que je la chantais bien. L’air était doux, ma voix avait su la dompter, il n’y avait pas de notes trop aigües, fausses dans ma bouche.
La petite rivière…
Les paroles m’inspiraient.
Je voulais être une rivière moi aussi, je voulais être heureuse. Je me moquais d’agir. Je ne voulais pas courir en tout sens. Et si j’avais perdu la capacité de me lever, ça ne m’aurait pas paru grave, car j’aurais pu alors être comme la rivière.
Elle apporte la vie à tant de plan-antes
Je voulais être celle qui réconforte. J’avais au dessus de mon lit un petit carré de bois peint : « Eva, Nom d’origine hébraïque. Signifie Source de vie » Je l’ai toujours, là, à côté de mon écran d’ordinateur. Je me disais que cela collait. Et puis, enfant, je ne connaissais pas le mot friselis, que je remplaçais par celui que je pensais entendre : chrysalide. Cela créait dans mon esprit l’image d’une rivière dont les remous tourbillonnants formeraient des poches de vie. « Source de vie »
Je devais être une rivière, c’était ça, ma mission : rendre les autres heureux, les rassurer quand le vent souffle fort, les faire sourire surtout.
J’ai commencé à écrire dans ce but, raconter des histoires, rendre les gens heureux.
Anne Sylvestre parle beaucoup des mots. Elle chante « Écrire pour ne pas mourir »,
Écrire pour ne pas mourir
Écrire sagesse ou délire
Écrire pour tenter de dire
Dire tout ce qui m’a blessée
Dire tout ce qui m’a sauvée
Écrire et me débarrasser
Écrire pour ne pas sombrer
Écrire au lieu de tournoyer
Écrire et ne jamais pleurer
Rien que des larmes de stylo
Qui viennent se changer en mots
Pour me tenir le cœur au chaud
« Sur mon chemin de mots »,
Sur mon chemin de mots,
Sur mon chemin de mots,
J’en ai vu de si beaux,
Que j’en délire.
Sur mon chemin de mots,
J’en ai vu de si beaux
Que je ne saurais dire.
sans compter cet album entier, « Fabulette volume 13 : les mots magiques », dont chaque chanson rend hommage à un mot
Il y a des mots qui disent
Tout ce qui fait notre vie
Il y en a pour les bêtises
Il y en a pour les soucis
Il y a des mots qui dansent
Et qui vont se promener
Des qui font la révérence
Des qui font un pied de nez
Il y a des mots qui piquent
Il y a des mots pour tout
Il y a des mots magiques savez-vous ?
Il y a des mots magiques savez-vous ?
Tout cela me parlait, et me parle toujours, énormément (cela me parle peut-être même plus aujourd’hui, comme l’écriture a fini par me devenir vitale, ce qu’elle n’a pas toujours été)
Dans « la petite rivière », les mots surgissaient aussi, en fond.
Toujours elle sourit toujours conten-en-ente
Elle passe en riant les heures len-entes
Tachant de faire sans bouger
Mais rien qu’à force de rêver
Des tourbillons, des friselis
Qui mettent les rayons du soleil dans son lit
A force de rêver…
On m’avait dit que tous les écrivains sont malheureux et torturés. Je voulais être la première écrivain heureuse du monde – échec cuisant, s’il en est.
On m’avait dit que les plus grands livres sont des tragédies à la « Roméo et Juliette », dans lesquelles les héros se détruisent à la fin du dernier acte. Je voulais écrire un roman d’un égal prestige, mais qui raconterait l’histoire de gens heureux, et qui le restent. J’étais persuadée qu’une telle entreprise était possible, qu’il suffisait d’y mettre bien plus d’énergie et de talent.
A cette tâche là, j’échouerai probablement, mais tant que je respire, tant que les mots me sont accessibles, je ne renonce pas tout à fait, j’ai envie de continuer d’y croire, à ce roman de la joie, à cette œuvre de vie.
Je suppose que mon ambition parait démesurée.
Elle ne l’était pourtant pas tant.
Je voulais juste vivre. N’est-ce pas ce que l’on veut tous ? N’est-ce pas ce à quoi nous devrions tous avoir droit ?
Je voulais juste être heureuse. N’est-ce pas également votre souhait ?
Pourquoi les désirs les plus basiques semblent-ils toujours inconsidérés ?
La vie s’est bien chargée de m’apprendre qu’être une rivière n’est pas acceptable. Écrire passe encore, si c’est une passion, tu peux bien persévérer et attendre un miracle, tant que tu t’assures d’avoir un plan de secours, un autre métier, qui rapporte, que tu exerces le temps que ton hypothétique notoriété n’arrive. Mais être rivière, rester couchée en ne pensant à rien d’autre qu’aux histoires que tu inventes, ça non.
Hors. De. Question.
« Bouges-toi le cul, Eva ! Tu deviens légume, avec ton écran, tes livres et tes carnets. Sort un peu. Vois du monde. Va dehors. Lève toi et marche. C’est ça que tu dois vouloir. Tu dois être désireuse de voyages, d’activités physiques, de bons vins entre amis ! »
Ses parents sont des saules qui se penchent vers son courant
Ils ont sur les épaules un bout de ciel trop grand
Ils campent sur ses plages en rêvant qu’elle soit torrent,
Cascade, ou pluie d’orage, ou fille du vent
Quand j’étais petite, je voulais être une rivière.
Maintenant, j’ai grandi, j’ai compris que ce ne serait pas possible.
Pourtant le rêve me poursuit : j’aurais voulu être une rivière.
J’ai écrit « Splendeur », une réécriture de la belle au bois dormant qui se focalise sur les pensées d’Aurore pendant son siècle de sommeil ininterrompu. « Tachant de faire sans bouger – Mais rien qu’à force de rêver », cela vous rappelle quelque chose ?
Ce roman a une teneur bien plus autobiographiques que mes rares lecteurs le présupposent.
C’est moi qui dort, moi qui rêve, crée des mondes, ne veut pas me réveiller, moi cependant qui ai voulu saisir ce bref instant qui me réchauffe le cœur, quand j’entrevois une possibilité d’être au monde ce que je suis en songe.
A la même période, je suis allée réécouter la chanson entière, puisque toutes les paroles ne m’étaient pas restées. J’ai alors été frappée par un couplet dont je ne me rappelais pas, et que j’aimerais retranscrire ici, en guise de conclusion. Nous avons tous nos rêves, nos aspirations, nos ambitions démesurées d’enfants, j’aimerais qu’un jour, nous les respections.
Il est d’autres rivières
D’autres ruisseaux, d’autres enfants
Qui leur vie toute entière
Vivent différemment
Mais cette différence, il ne faut pas en avoir peur
Car tous ils sautent et dansent avec le cœur
NB : Vous pouvez lire le premier chapitre de Splendeur ici, ou le roman en intégralité sur wattpad.
Vos introspections révèlent votre charme d’écrivaine. Je ne saurai expliquer ce que j’aime dans vos phrases. Peut-être la libération de vos sentiments vis-à-vis de votre art. Peut-être l’emprise de votre univers à la lecture. Et ce n’est pas Heureux que j’éprouve à vous lire. Mélancolique est plus adaptée. Comme une brise qui apporte les nuages gris remplit d’éclairs. Le moment précédent la tempête où l’on se réchauffe près de la cheminé. Sans lumière artificielle sans la moindre électricité. Destiné à attendre indéfiniment le calme et l’ensoleillement.
Ce n’est pas flatteur de ne pas réussir à votre mission, mais vous avez la réussite de faire voyager, de transporter nos esprits, là où le corps reste immobile. Ce n’est pas désagréable. Un monde parfait provoque ennuie et révolte. Le bonheur ne se trouve pas dans la complaisance à l’ennui. Alors, pourquoi chercher à rendre heureux ? Pensez à vous-même. Qu’elle est votre bonheur ?
Je ne lis pas assez de livre, très peu de roman. Je reste dans un domaine. Un aspect de ma vie m’a entrainé à écrire. Pas à inventer des histoires à partager mais des histoires à rendre réelles. Je n’avais que ce but et j’y suis arrivé. En parallèle à vous qui remettez en cause vos talents et votre vie autour de l’écriture, peut-être que vous n’avez pas trouvé la bonne réponse à votre définition du destin. C’est prétentieux comme affirmation. Je vous le concède. Je ne connais pas votre vie. Je ne sais percevoir l’IRL qui vous entoure. Ce que j’entrevoie d’ici, avec ma longue-vue, c’est qu’écrire est un beau but à atteindre. Et que vous avez réussi à y descendre votre ancre.
En espérant que cette dernière phrase vous sorte de votre lit.
Madame Serves, vous êtes une écrivaine.