These thems : parlons des Transfem Exclusionary Radicool Queers

J’ai presque envie de m’en excuser : je vais encore commenter une série queer qui ne m’a pas convaincue. Enfin, pire, en l’occurrence : je vais parler d’une série queer que j’ai détestée : « These Thems »

« Heartstopper » (une série à destination des ados, conçue pour  transmettre des bonnes valeurs d’inclusivité et d’acceptation aux jeunes générations) était intéressante à analyser car en creux, on y devinait nos normes implicites. Les critiques que j’avais produites (« Normativité queer avec Heartstopper » , ou la version courte « Ce que les films pour enfants nous disent des normes queer » ) n’enlevaient par ailleurs rien au caractère feel good de la série, que j’avais eu plaisir à regarder.

Mais « These Thems »…

« These Thems » est une série qui parle de ces iels, vous savez, pas toustes les non-binaires, pas toutes les personnes qui utilisent des néopronoms, mais ces iels-là, qui se réassignent au féminin à la moindre occasion. Ces iels là dont il est parfois si difficile de parler. Quand on les nomme theyfab, leur identité se mélange avec leurs politiques. Or les theyfab, ce ne sont pas « les personnes non-binaires qui se trouvent avoir été assignéés femme à la naissance, mais qui désormais préfèrent se genrer au neutre ». C’est plus spécifiquement « ces personnes non-binaires qui pensent que leurs socialisations genrées passées sont plus significatives que leurs choix présents ». Mais le dire ainsi cache peut-être l’essentiel : être theyfab, c’est avant tout penser comme une TERF. Plus spécifiquement : c’est penser comme une TERF en se croyant incapable d’en être une parce qu’on est soi-même trans (ou juste queer, d’ailleurs).

Alors j’ai envie de nommer cela autrement : comme les TERF sont les Trans Exclusionary Radical Feminists, on pourrait parler des Transfem Exclusionary Radicool Queers. TERQ, c’est moche, mais ça a le mérite de rendre explicite ce qu’on leur reproche.

Car il y a des choses à dire, et il me semble que trop de gens continuent de passer à côté du problème : même les personnes attentives à la transmisogynie et conscientes des mécanismes qui lui permettent de continuer d’exister dans les milieux queer, peinent parfois à réaliser l’ampleur du phénomène : oui, les femmes trans s’en prennent plein la figure, mais les elles ne sont pas les seules. Chacunn à sa manière, il y a de la haine pour chaque lettre de LGBTQIAP+.

Il faut quelque chose pour révéler la force du double standard.

Or, l’humour est parfait pour cela : il suffit de décrire une situation de tension, et de voir comment, selon qui en est affecté, elle est envisagée comme un problème à prendre au sérieux ou comme un motif comique.

Voyez : comme dans cette vidéo où Andrew Bailey explique pourquoi il « pense sincèrement que le viol et hilarant. …quand il vise des gars », il sait bien sûr que cela le rend misérable, mais parfois « pour s’intégrer il faut cacher sa douleur, et l’humour est un excellent moyen d’y parvenir. Voilà pourquoi [il croit] sincèrement que le viol est hilarant : parce qu’il en va de [sa] survie ».

(Oui j’ai choisi cette vidéo tout à fait sciemment, parce que c’est aussi une illustration du fait que les doubles standards vont parfois dans le sens de la misandrie, et qu’ils sont loin d’être inconséquents)

Dans « These Thems » donc, on suit quatre personnages principaux. Gretchen est une lesbienne qui ne réalise son attirance pour les femmes que sur le tard (après une consultation médicale où elle jouit pendant l’examen gynécologique interne, alors qu’elle a l’habitude de vomir, si si, quand un homme la pénètre), elle vit en collocation avec un homme cis gay, Kevin. Vero est unn enby qui décide de se lancer dans la pédagogie LGBT+ (après une consultation dans le même cabinet, où iel prend plaisir à expliquer la non-binarité à la doctoresse ignorante de ces sujets), iel vit en collocation avec un homme trans, Asher.

La blague, dès le départ, c’est donc que les pénis donnent la gerbe à Gretchen. Chose qui est explicité à plusieurs moment de la série.

Gretchen : Je pourrais être bi ?
Vero : Peut-être ! Ah merde ! Je les ai oubliéés sur mon schéma ! Typique… [Prend un air affecté] Il y a des queer qui aiment les hommes cis.
Gretchen : Les hommes cis ? C’est nos leaders ou un truc du genre ?
Vero : Girl, non ! Tout l’inverse. Hum… Homme cis. C – I – S. Ce sont des hommes qui s’identifient à leur genre assigné à la naissance.
Gretchen : Oh non, ils me donnent la gerbe.
Vero : Moi aussi ! [Rire de connivence][These Thems, épisode 3, 3:16]

En fait, ce rejet des pénis n’est pas seulement le point de départ (qui pourrait être dépassé par la suite) mais le pinacle de la trajectoire de Gretchen. On la voit au volant de son vélo chanter joyeusement « I’ll never suck a dick agaiiiin » au début de l’épisode 5 (0:00) et un numéro entier de comédie musicale burlesque est dédié au fait d’ « écouter sa chatte » :

Gretchen [chant] : Je pensais que le sexe était super dégueux
Que les pénis étaient fétides et fermes et collants
Mes petits amis disaient « ma fille t’es trop difficile »
Mais ensuite j’ai entendu l’appel des sirènes
La voix la plus importante de toutes
J’ai écouté ma chatte !
[Je suis] intriguée par les ils, les elles, les ols et les iels !
J’ai écouté ma chatte !
On m’a dit si souvent de prier pour des bons partenaires
Mais maintenant je me fie exclusivement
Au plus sage des sets de lèvres.
[These Thems, épisode 6, 7:10]

Son amii Vero a l’air dubitatif devant ce spectacle (on nous fait savoir que Gretchen ne fait que rêver le glamour burlesque de la scène, alors qu’elle sort en réalité d’une crise de larmes qui l’a laissée le visage rouge et couvert de trace de mascara coulé), mais loin de lui dire qu’elle exagère, c’est après cela qu’iel semble envisager pour la première fois Gretchen comme partenaire romantico-sexuelle.

La scène, au demeurant, est la préférée de la réalisatrice qui explique, dans une interview pour lezwatchtv :

J’adore ce moment car j’adore la nature de la trajectoire de Gretchen. D’abord très insécure, et confuse, et plutôt sexuellement réprimée, on la voit devenir super libérée, une créature flirty, sexuelle et over the top. Elle accepte ça et n’en retire aucune honte
[Gretchen Wylder (oui c’est elle qui a totalement écrit et qui interprete le personnage de Gretchen à qui elle a donné son nom) pour lezwatchtv]

La trajectoire de la libération lesboqueer est donc bien celle là : centrée sur la chatte, et s’acheter des boucles d’oreilles vulve pour que cette passion génitale soit bien manifeste (épisode 7, 8:40)

Bien sur, le show se veut pédagogique, alors il prend quelques précautions oratoires. Dans son ode burlesque à sa chatte, qu’elle prend le temps de décrire anatomiquement comme « le plus sage des sets de lèvres » en opposition aux pénis « fétides et fermes et collants », elle précise, comme une note de bas de page « pas besoin d’être née avec des ovaires pour avoir une chatte, écoute ta chatte intérieure : qu’est-ce qu’elle dit ? » (épisode 9, 9:09). Mais évoquer brièvement que les femmes trans existent (encore que, cette scène en particulier pourrait aussi bien parler d’intersexuation) pour se dédouaner de ne pas les envisager comme de vrais sujets, ça ne marche pas.

Au final, s’il n’est pas explicitement question de « préférences génitales », c’est bien de cela qu’il s’agit.

Tu ne peux pas chanter « Je ne sucerais plus jamais de biiiiites » et « j’écoute ma chatte » et « je peux voir tes ovaires car j’suis gayyyyyy » pour dire ensuite, si une femme trans te fais une remarque sur l’essentialisme de tes slogans de gouine « non mais je dis chatte et ovaire de manière inclusive, pour désigner l’entrejambe et les gonades des femmes, y compris des femmes trans quelque soit leur anatomie uwu » (ce qui ne tient même pas la route puisque Gretchen précise bien être intéressée par les « ils », même si les mecs cis « la font gerber ». Les bites qu’elle se réjouit de ne plus jamais sucer n’incluent donc pas l’entrejambe des mecs trans).

De toute façon, aucune femme trans ne les confronte à ce sujet parce que, est-il encore besoin de le spécifier à ce stade : il n’y en a pas dans la série, ou alors seulement dans des rôles de figurantes. (J’ai cru en voir une dans l’épisode 4, qui demande où elle peut vomir avant de se faire reconduire dehors, et une autre monte sur scène à l’épisode 7, juste le temps de dire « je fais mon coming-out de la pire pétasse que vous ayez jamais connue, je suis une femme trans et j’en suis foutrement fière » [15:12] (elle a l’air grave cool mais elle existe pas vraiment dans le scénario, elle est juste un item « diversité » dans une liste de PNJ qui font des coming out à une soirée dont c’est le thème).

Voilà le contexte, que j’ai souvent expliqué, souvent dénoncé, qui fait des espaces queer-féministes des non-mixités de vulves qui finissent nécessairement par être exclure les meufs trans (sauf une ou deux token, qui se détestent suffisamment pour s’auto-réduire au rôle subordonné d’aspirantes meufs cis assexuées, et qui permettent l’obtention d’un label en carton « safe et inclusif et transfriendly ») : les lesbiennes et les queer afab ont le droit d’aimer les chattes et d’honnir les pénis et de le crier partout. Ce sera même queer et féministe et révolutionnaire et empouvoirant de leur part de le revendiquer.

Bien sûr, pourrait-on arguer, il y a un contexte à cela : l’hétéronormativité et le sexisme ont rendu difficile (voir quasiment impossible) pour beaucoup de femmes d’explorer leur propre sexualité (y compris dans un cadre hétéro, d’ailleurs). Alors quand on a passé tant de temps à ne même pas oser se masturber, ou à ne pas savoir comment trouver du plaisir, il est normal, au moins dans un premier temps, de pécher par excès d’enthousiasme quand on découvre son plaisir et les organes qui y sont associé (et que potentiellement on ne savait même pas nommer jusqu’à fort tard dans notre vie sexuelle, y a pas si longtemps que les clitoris sont représentés correctement dans les livres de SVT). D’ailleurs, histoire d’ancrer ce propos : il est brièvement évoqué que Gretchen a été envoyée en thérapie de conversion lorsqu’elle était enfant, et que c’est pour cela qu’elle réalise si tard son attirance pour les femmes, refoulée pendant des années.

Oui.

Mais.

Le double standard.

Dans la série, outre Gretchen et Vero, on suit aussi leur colocataires respectifs.

Pour rappel, Kevin est un mec cis gay, ami de Gretchen, il ne connait pas du tout les milieux queer, ceux dans lesquels il évolue sont plutôt exclusivement gay, et répondent à d’autres codes (qui ne sont pas montrés ou considérés par la série). Selon ses propres dires, au théâtre où il travaille, il y a tellement d’homo que se sont les hétéros qui doivent faire leur coming out, mais il ne connait aucune personne trans. Par ailleurs, il n’a pas de lesbiennes/bi à présenter à sa coloc quand celle-ci fait la réalisation tardive que « zut les bites me donnent la gerbe, je dois être une queer fem ».

Asher, quant à lui, est un mec trans qui est content d’avoir suffisamment de passing pour passer inaperçu et être traité comme un « homme comme les autres ». Par le passé, il est passé par des phases où il se définissait comme lesbienne, et fréquente toujours les amiis qu’il s’est fait à cette époque, comme Véro.

Or donc : Kevin et Asher tombent amoureux.

Mais à l’épisode 4, alors qu’Asher fait son coming out, Kevin qui n’y était pas du tout préparé est pris de court :

Kevin : Tu ?… Oh, wow. Mais, hum… Tu as l’air…
Asher : D’un vrai garçon ?
Kevin : [rire nerveux]Asher : Est-ce que c’est un problème pour toi ?
Kevin : [en faisant de grand non avec sa tête] Non, non. Hum. Non. J’veux dire [essai manifestement de blaguer pour se redonner une contenance], je suis allergique aux chattes, genre choc anaphylactique. [Réalise qu’il a dit une connerie en voyant la tête d’Asher]. Oh merde !! Oh mon dieu. Je suis tellement désolé ! Est-ce que c’est offensant ?
Asher : Oui, ça l’est.
Kevin : Je suis désolé.
Asher : Et puis, si ça se trouve, moi j’suis allergique aux pénis.
Kevin : Non !
[These Thems, épisode 4, 10:02]

Le truc c’est que : oui, la blague de Kevin était effectivement merdique. Mais au même titre que le sont les plaisanteries de Gretchen et Vero qui se marrent en expliquant que les mecs cis leur donnent la gerbe (et au même titre qu’Asher qui répond que de son côté il est ptet allergique aux bites, faisant ainsi son coming out de « je traine parmi des queers/enby/trans mais j’ai jamais date, ou envisagé de date, une personne transfem uwu »). Sauf que :

  • Son attitude n’est pas moins compréhensible que celle de ses amiis lesbiennes/thefab : les hommes gays aussi subissent une injonction à l’hétérosexualité, et si les lesbiennes ont besoin pour s’en émanciper de crier leur amour des vulves (au moins dans un premier temps), pourquoi les gays ne pourraient pas faire de même avec l’amour des pénis ? Vous ne me ferez pas croire que le sexe anal et plus accepté socialement que les cunnilingus. « Enculé » est toujours une insulte.
  • Kevin est le seul personnage qui s’excuse. Il le fait immédiatement (dans l’extrait ci-dessus), puis, comme cela ne suffit pas, il demande pardon à nouveau en faisant l’effort de la présentation pour reconquérir le cœur d’Asher parce que, outre son premier moment de panique, il tient vraiment à lui.

En vérité, Kevin est le seul personnage intéressant, parce qu’il est le seul qui prend conscience de ses erreurs et trouve des moyens de les réparer : certes, il a des a priori sur les organes génitaux de ses partenaires, mais la série le met dans une situation qui le force à revoir sa copie. Tandis que du côté des lesbiennes : la série s’abstient bien de mettre ses personnages face à une femme trans dont l’existence pourrait questionner leur obsession des vulves, des ovaires et des clito.

Je ne sais pas comment vous dire : cette série est insupportable. Voir Gretchen enfourcher son vélo en chantonnant qu’elle ne sucera plus jamais de bites, tout en prenant de haut son coloc parce qu’il a a priori exactement la même attitude à l’endroit des vulves : pardon, ça me hérisse.

 

Ce que montre cette série, ce sont ces iels, ces theyfab, qui créent des communautés Queer Radicool Excluantes des Transfems en se basant sur une misandrie d’autant plus facile à voir qu’elle n’essaie pas de se cacher. On est pas à des degrés subtil de différence de traitement entre les femmes trans et les autres queer. Y’a même pas de femme trans. On n’a pas besoin de tirer les ficelles des raisonnements délétères autour de la « socialisation masculine versus féminine ». Non. On saute a pied joint dans l’essentialisme le plus crasse : vive les vulves, haro sur les teubs.

L’illustration de la manière dont la misandrie (indéniable) mène droit à l’effacement (pour ne pas dire exclusion, difficile d’exclure des personnes qui « n’existent pas ») des meufs trans (et donc à la transmisogynie), est limpide.

Bien sûr, il s’agit d’une websérie de sept épisodes qui reste relativement confidentielle, et vous êtes libres de la juger non représentative. Reste qu’elle a gagné des prix, a été montré dans divers festival LGBT+ aux Etat-Unis, que tous les personnages ont l’air d’être des self-inserts (si vous doutiez de l’ancrage du truc) et que toutes les critiques que j’ai vues ne font de ce show que des éloges : les gens le trouvent drôle, juste, éducatif, feel good. Et s’il ne représente pas toutes les communautés queer partout, je le trouve tristement représentatif des dynamiques et des doubles standard que j’ai pu observer IRL.

Par ailleurs, le show a aussi le mérite (?) accidentel de révéler les dégats collatéraux des politiques des Transfem Excusionaty Radicool Queers (TERQ) : les femmes trans sont clairement les premières cibles, elles qui sont carrément absentes de la série. Mais on voit aussi qui d’autre fait les frais de ces discours misandres.

Les bi/pan

Dans sa liste à la Prévert des « identités queer 101 », Vero prend le temps de lister des labels qu’on a absolument pas besoin de connaitre (y’en a que je connais même pas, ce qui est le but je pense, pour la blague de « oh la la tant de diversité », et d’autres qui sont assez anachroniques : genre c’est pas la peine de parler des dynamiques butch/fem des communautés queer des années 70 si tout ce que t’as à en dire c’est que certaines personnes les jugent « hétéronormatives », oskour), mais cette liste se limite aux mille nuances de lesbianisme, avec une inclusivité trans qui semble se centrer sur les transmasc dont les transfems seraient le simple pendant.

Vero : Là, c’est l’endroit où je me trouve actuellement sur le spectre : Transmasc, Non-binaire. Et par ici nous avons les queers fems, c’est probablement là que tu te situe. Tu suis ?
Gretchen : Je suis !
Véro : Bien ! Ok, on continue. Il y a les lipsticks, les chapsticks, les LHBs, les futches (qui sont, hum, des butchs feminines), les butchs old school, les gouines, les gouines diesel, les lesbiennes. Dans les communautés racisées, il y a aussi les studs, les boys, les femboys, les marimacho, les cachepera, les tortillera. Les fems peuvent sortir avec n’importe qui sur ce spectre, il n’y a pas de règle. Mais il y a cette dynamique butch/fem, que certaines personnes jugent hétéronormative. Il y a des pillow princesses et des fems stones, qui sortent souvent avec des stones butchs.
[…]Le spectre trans va de transmasculin, FtM, à transféminin, MtF. Les hormones sont facultatives dans les deux cas. Il n’y a pas de bonne manière de désigner quelqu’un au « bout de sa transition ». C’est entièrement subjectif et offensant. Maintenant, quelque part au milieu, on a nos amiis two-spirits. Et enfin : les queer gender nonconforming ! Il y en a des androgynes et des non-binaires. Les personnes genderfluids choisissent de rester flexibles en terme de genre, et rejettent les constructions sociales binaires. De la même manière, les genderqueers fluctuent entre la binarité, ou expriment plusieurs genre à la fois. Ces deux termes sont souvent interchangeables ou entremêlés. Aujourd’hui, je suis les deux !
Je crois.
Voilà, c’est à peu près tout.
[These Thems, épisode 3, 0:08]

Dans tout ça, pas un mot pour la bissexualité. Ou bien si : dans cet extrait que j’ai déjà cité, au moment ou Véro se rend compte de son oubli, reconnait qu’il est typique, donne la définition la plus pétée de la terre (« des queer qui aiment les hommes cis », vraiment ? Dis que dans ta tête les hommes trans ne comptent pas comme des hommes sans dire que dans ta tête les hommes trans ne compte pas comme des hommes…), tout ça pour pour sous-entendre trois secondes plus tard que quand même, c’est répugnant, les mecs cis donnent la gerbe. Ça ne passe pas.

Les hommes gay cisgenre

Outre le fait que ça ne doit pas être agréable pour Kevin d’entendre sa coloc rigoler du fait que les gens comme lui lui donnent littéralement la gerbe : la série est particulièrement révélatrice du peu de considération donnée aux hommes gays dans les milieux queer actuels.

Eux non plus n’ont pas le droit d’apparaitre dans le schéma de Véro.

Pourtant, la culture gay est riche, et je ne vois aucune raison de la rejeter (sans même la connaitre !) comme on rejette l’hétéronormativité (en connaissance de cause puisqu’on a littéralement grandi avec ses injonctions).

Lors du coming out d’Asher, après la blague transphobe de Kevin (sur laquelle, rappel, il revient immédiatement), la conversation se prolonge un peu, et Kevin réalise qu’Asher ne se définit pas spécialement comme gay, qu’il n’a pas touché ni un homme ni une bite depuis des années, et que tout cela (l’homosexualité masculine) est neuf pour lui. Quand on re-regarde la scène, c’est à ce moment là que Kevin a vraiment des doutes. Il avait paniqué au sujet de la transidentité, fait une plaisanterie foireuse, mais s’était repris et avait assuré que non, non-non, ce n’était pas un problème pour lui. Mais c’est quand Asher se confond sur son orientation sexuelle, se demande s’il est devenu « plus fluide » à ce niveau, et pose à nouveau la question : « et ça, c’est un problème ? » que Kevin répond « Non… Enfin, peut-être ? ».

C’est tourné comme une faute de plus de la part de Kevin, qui n’accepte pas la fluidité/les questionnements d’Asher.

Mais d’un autre côté : Kevin s’est intéressé aux codes sociaux des milieux queer où évolue Asher. Il a pris le temps de comprendre ce qu’était la transidentité, on le voit lire un livre « sortir avec une personne trans ». Il a fait l’effort de formuler des excuses, des excuses sincères, de prouver à Asher qu’il tient vraiment à lui et qu’il ne dira pas deux fois les mêmes bêtises.

On ne voit pas Asher produire le même effort pour comprendre les codes sociaux des milieux gays où évolue Kevin. Il ne se dit pas « peut-être qu’il est aussi inquiet de sortir avec quelqu’un qui n’a jamais eu de relation gay, que moi je suis inquiet de sortir avec quelqu’un qui n’a jamais date de mec trans avant moi ? »

Les hommes trans

La manière dont les hommes trans est affecté est différente. Eux, contrairement aux femmes trans ou aux mec cis gay, ont leur place dans les communautés queer. Mais de manière paradoxale, justement dans la manière dont ils ont une place, ils ne sont pas vraiment vus.

Ils ne sont pas là en tant qu’hommes (trans). Ils sont là en tant que trans (hommes), en tant que FtM, en tant que « ayant été assigné femmes à la naissance », en tant que vulves sur pattes, en tant que kinda lesbienne supra-butch whatever.

Quand Gretchen Wylder, la réalisatrice/scénariste/comédienne, parle de son orientation sexuelle (la sienne et celle de son personnage, qui se recoupent), il est manifeste que son lesbianisme inclus les hommes trans (sans rien dire de s’il inclut ou pas des femmes trans, mais bon, encore une fois, « i’ll never suck a dick agaiiin ») :

Je m’identifie maintenant comme une fem queer, [et] comme le personnage de Gretchen dans la série, j’ai tendance à sortir avec de personnes queer avec une expression de genre plutôt masculine. C’est à dire : des lesbiennes butchs, des personnes non binaires plus masc, des hommes trans. Cela est vraiment très peu montré dans les médias. C’était très important pour moi dans mon processus de création : [représenter] quelqu’un ayant des expériences similaires aux miennes. Vous savez « Oh, je me sens vue », il y a une lesbienne queer, d’apparence féminine, s’identifiant comme une femme, qui a des relations sexy, drôles et intéressantes avec des personnes neutres mascs.
[Gretchen Wylder pour lezwatchtv]

Bref : les hommes trans sont acceptés s’ils acceptent de se réassigner à leur socialisation féminine (voir carrément à leur vulve si on y va cash dans l’essentialisme plutôt que de se cacher derrière un néo-essentialisme moins identifiable comme transphobe), de rappeler au monde que « ok on est des hommes, mais pas vraiment ». (Ensuite y’a la partie où s’ils s’y refusent, ils sont traités comme les hommes gay, c’est à dire mal, misandrie oblige. Et il subissent ce que les femmes trans subissent : l’exclusion d’une communauté dont ils avaient besoin. Avec cette désillusion particulière : ils gardent le souvenir de l’époque où ces espaces qui ne veulent plus les voir étaient « safe » pour eux, pré-transition)

Une scène intéressante à ce propos c’est le coming out d’Asher.

À son travail, Asher est très content d’être perçu, non pas comme trans, mais comme « un homme, tout simplement » (d’autant qu’il est déjà le seul homme racisé, qu’il sait ce que c’est d’être le token diversité d’un lieu, et que c’est en toute connaissance de cause qu’il n’a pas envie d’en rajouter une couche). Mais Vero ne l’entend pas de cette oreille, d’autant qu’une opportunité pro se dessine pour laquelle assumer sa queerness serait un atout. Lors d’une fête, iel se met donc à scander gaiement « come out ! come out ! come out ! » [épisode 4, 8:03].

Cette pression au coming out, si elle était exercée sur n’importe qui d’autre, serait présentée comme oppressive.

Mais sur un mec trans, non : il faut qu’il revendique sa transidentité pour s’éloigner de la masculinité (celle qui fait vomir, remember).

Ce forcing est présenté de manière tellement positive que, sur le site marchant de « These Thems », on peut, pour la modique somme de trente dollars, acheter un T-shirt « Come Out ! Come Out ! Come Out ! ».

Et pour cause : quand Asher se décide à faire son coming out, il en est récompensé. C’est lui qui obtient la promotion qu’il désirait et il reçoit de nombreuses lettres de félicitations de la part de ses collègues.

Les femmes cis et les theyfabs

Bien sûr, ce sont les principales bénéficiaires des politiques misandres / Transfems Exclusionary Radicool Queers, mais elles n’en sont pas moins déshumanisées par ses même politiques.

Comme je le disais plus haut : au final, Kevin est le personnage le plus intéressant car il est le seul qui peut porter un regard sur ses propres erreurs.

Quand des femmes cis sont a coté de la plaque, c’est juste « drôle ». Dans une scène, des amies de Gretchen organisent une « gender reveals party ». Dans ce contexte : Ce n’est pas grave si elles sont obsédées par le sexe d’un enfant qui n’est même pas encore né. Ce n’est pas grave si elles mégenrent Véro. Ce n’est pas grave si elles font des remarques ignorantes sur les néo-pronoms qui ne sont pas naturels. Ce n’est pas grave si elles considèrent qu’il leur est impossible de flirter avec un homme qui a lui-même flirté avec un autre homme. Tout cela permet de faire un peu d’humour et/ou de pédagogie (pas toujours, la pédagogie, on leur explique pas que la bissexualité existe, faut pas déconner). In fine il suffit de leur donner les bons arguments pour qu’elles décident qu’elles n’ont eu ni un bébé-fille, ni un bébé-garçon, mais un bébé-neutre, un they-by » (là aussi, y’a du merch, apparemment c’est drôle).

En définitive, la seule remarque transphobe la série dépeint comme vraiment inacceptable vient d’un homme gay (pour laquelle il faut fournir de vraies excuses, et pas juste se rendre compte que « oups c’était le patriarcat qui parlait à travers ma bouche, je suis une victime de cela et maintenant que je le sais tout va bien »)

Cela me semble significatif.

Pourquoi ne représente-t-on pas les femmes cis hétéro transphobes ? Les femmes cis queer transphobes ? Les queer « assignés femmes à la naissance » transphobes ?

Au final, les femmes cis (et les enby « afab ») sont traités comme si aucune de leur action n’avait la moindre gravité, ou importance. Elles sont presque privées d’agentivité, réduites au rôle de victime du patriarcat, qui, même lorsqu’elles s’émancipent, n’ont aucune prise sur le monde. Leur seul but, c’est d’être stylées. Pour le reste, elles sont privées de la possibilité-même de grandir : pour cela, il faudrait qu’elles puissent apprendre de leur erreurs, et donc, il faudrait qu’elles aient la possibilité d’en commettre (c’est à dire : de reconnaitre quand elles en commettent)

Alors voila. Je ne sais pas si cet article est plus ou moins convainquant que d’autres choses que j’ai écrites / que j’aurais pu écrire / que j’écrirai sur le sujet, mais je trouvais l’exemple significatif : montrer le double standard dans un contexte où il est particulièrement visible, exacerbé par l’humour de gens qui n’ont même pas conscience du problème qu’iels illustrent.

Je me dis : peut-être, si j’arrive à vous faire voir le problème dans ce cadre fictif là, vous serrez plus outilléés pour le voir dans des situations réelles plus subtiles.

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