Plus d’alliéés, moins de pots de fleurs – ou l’impasse de la culpabilité

On a ce truc en France : l’extrême droite monte, les élections arrivent, il faut réagir, c’est l’urgence, on doit mettre nos différends sous le tapis le temps de sauver ce qui peut l’être.

« On s’engueulera plus tard. »

Je m’étais résoluu, moi qui passe pourtant mon temps à critiquer les normes oppressives masquées au sein des milieux militants, à « engueuler plus tard ».

Et j’étais saouléé par toutes les personnes qui ne respectaient pas cette trêve.

 

N’empêche que : il y avait toutes ces personnes qui ne respectaient pas la trêve (non pas qu’iels s’y soient engagéés), qui étaient à bout et ne se sentaient pas priss en considération par la Gauche sensée les défendre. Et si je suis honnête avec moi-même : j’étais peut-être surtout saouléé par le fait qu’il y ait, de base, besoin de faire une trêve. La vérité c’est que les milieux militants (queer) de ma ville m’ont suffisamment trauma cette année pour que je n’arrive pas à envisager de rejoindre un groupe local. Alors je ne vais pas plus longtemps faire semblant de ne pas comprendre que d’autres aient, quoi que pour d’autres raisons, la même difficulté.

J’ai soufflé, j’ai réfléchi, je me suis dit : ok, en fait, j’ai des trucs à dire.

Quand la Gauche n’arrive pas à s’unir, il est de coutume d’accuser l’égo des politicienns. Mais cette explication ne me semble pas convenir (les politicienns ont-iels de l’égo ? Oui. Sont-iels intéresséés et carriéristes ? Aussi. Est-ce la seule explication à tous les maux de la Gauche ? Je ne crois pas, non). Les dissensions viennent de tous les niveaux, pas seulement du sommet.

Il y a des laisséés pour compte, que l’on n’écoute jamais même quand on prétend le faire, il y a des frustrations, des traumatismes, des schismes… et tout cela finit par nous exploser à la figure.

Je m’étais convaincuu de faire une trêve parce que, s’il n’y a pas vraiment de bons moments pour parler des sujets qui fâchent, il y en a des mauvais. Selon cette perspective, « une campagne électorale éclair dont l’enjeu est d’éviter à la France un avenir fasciste » ne me semblait pas être le bon timing pour pointer du doigt toutes nos imperfections.

Ok. Sauf que l’image de « tout cela finit par nous exploser à la figure » demeure, et que bosser avec une bombe à retardement n’est peut-être pas le plan le plus stratégique.

À long terme d’abord, il y a le risque que le boom soit d’autant plus fracassant qu’il a été retardé (si la Gauche obtient une majorité, qu’elle explose et que ça l’empêche d’agir, cela augmentera la désillusion des gens à son sujet, et donc la difficulté à la faire ré-élire la prochaine fois qu’on aura ce truc en France : « l’extrême droite est là, les élections arrivent, il faut réagir, c’est l’urgence, on doit mettre nos différends sous le tapis le temps de sauver ce qui peut l’être, bis repetita« )

À court terme aussi, parce que nos ennemis politiques instrumentalisent nos failles et qu’on n’est pas à l’abri que tout vole en éclat trop tôt pour qu’on ai sauvé quoi que ce soit.

Stratégie alternative : ne plus taire, désamorcer.

Je vais commencer par ce que je connais : la gestion des VSS dans les milieux militants (et chez les queer en particulier, qui ne sont pas exemptts). Et puis je vous laisserai décider s’il est pertinent de faire des parallèles avec ce sujet d’actualité : la gestion de l’antisémitisme sur la scène politique (et à Gauche en particulier, qui n’est pas exempte).

Les VSS chez les féministes « queerfriendly »

Les VSS chez les féministes « queerfriendly »

Je ne sais pas par où commencer, alors je vais commencer par citer Dorothée Dussy qui dit à propos de l’inceste : l’interdit, ce n’est pas de le commettre, c’est d’en parler.

Je crois qu’elle ne m’en voudra pas d’étendre cette citation à d’autres cadres que celui de l’inceste, dans la mesure où tout son propos consiste justement à considérer l’inceste comme le berceau des autres domination (c’est d’ailleurs le titre de son essai, même si j’ai personnellement plutôt découvert sa pensée via des podcasts), avec lesquels il est donc logique d’établir des liens.

J’aime bien cette phrase parce qu’elle permet d’éclaircir ce qui a première vue pourrait ressembler à un paradoxe : ce n’est pas parce que quelque chose nous est présenté comme la quintessence du mal que cette chose est efficacement combattue. En fait : au contraire.

Parfois, les actes sont si graves que leur nom-même est tabou, or le tabou empêche de véritablement aborder le sujet, et donc de le résoudre. Il y a un problème quand les gens ont davantage peur d’être accuséés de violence qu’autaire de ladite violence.

C’est le cas pour les violences sexuelles (dont l’inceste et la pédocriminalité sont les versions aggravées, car commises sur des mineurs).

Les féministes aiment bien rappeler que les agresseurs sexuels disposent d’une impunité. Ce qui est vrai. Et pour autant, cela ne veut pas dire que le fait de commettre des agressions sexuelles soit bien vu. En fait, tout le monde est même d’accord pour dire que le viol est un crime horrible.

(Par « tout le monde », je veux dire : y compris les mascus qui aiment prouver leur virilité en promettant d’aller tabasser les agresseurs de leurs meufs/filles/sœurs qui leur ont spécifiquement demandé de ne pas le faire, y compris les harceleurs en ligne qui envoient des messages déplacés (euphémisme) en profitant de l’anonymat d’internet mais qui paniquent dès qu’on les identifie parce qu’autant ça ne les dérange pas d’écrire « je vais te violer sale pute » à une inconnue, autant ils n’ont aucune envie que leur entourage le sache, parce que ça ne se fait pas et qu’ils le savent)

Mais la force du stigmate sur les VSS est particulièrement forte dans les milieux féministes qui ont été construit, justement, en réaction aux violences sexistes et sexuelles. Dans ces milieux là, plus que partout ailleurs, les mots « VSS », « agression sexuelle » et « viol » sont synonymes de « mal absolu ». Le stigmate est maximum (la punition, pour les accuséés, est l’éviction immédiate et définitive du groupe).

L’ennui, c’est qu’une fois toustes accordéés pour dire qu’il faut combattre les violences sexuelles, on est loin d’être au bout du chemin.

C’est que, voyez vous, « être hors de tout soupçon » et « s’améliorer tant personnellement que collectivement » sont deux objectifs différents, pour ne pas dire incompatibles : pour s’améliorer, il faut commencer par se regarder dans un miroir, et donc par porter des soupçons sur soi-même, il faut essayer des choses, c’est-à-dire sortir de la passivité du statu quo et risquer de se tromper. Pour s’améliorer, et régler le problème systémique (des VSS), il faut donc accepter de ne plus être « hors de tout soupçon ».

Aussi, au lieu de prendre nos responsabilités, de réfléchir aux dynamiques du consentement (et à ses zones grises) et d’optimiser la communication pour que chacunn puisse exprimer ses désirs et ses refus sans crainte, il est plus simple de désigner et fustiger des coupables (qui ne sont pas nous).

« Si j’ai conscience de l’existence d’un problème, et que je suis capable d’en dénoncer l’expression chez les autres, alors je n’ai rien à me reprocher, pas vrai ? »

Dans ce paradigme, même dans la situation idéale (c’est-à-dire celle où la dichotomie est claire entre d’un côté la/les victimes en position de vulnérabilité à défendre et de l’autre lea/les bourreaux en position d’impunité totale parce que ce sont des mecs blanc cishétéro riches et célèbres qu’on peut prendre comme exemple sans que ça n’impacte leur vie), on décentre l’attention à la fois des victimes et des axes de guérison/réparation/progrès, pour se concentrer sur les agressaires et les moyens (vains) de les punir.

Bref : tous ces biais s’auto-entretiennnent dans un cercle vicieux dont il est difficile de sortir : plus le stigmate est grand sur une violence donnée, plus la menace d’une punition est forte, plus il est difficile pour ceusses qui la perpètrent de reconnaître leurs torts, mêmes minimes (et plus les personnes dominantes qui peuvent sans soucis échapper à toute forme de représailles ont l’air d’avoir une totale impunité), moins la situation a des chances d’avancer, plus le ressentiment augmente, plus le stigmate est grand, et ainsi de suite.

C’est un blocage total, où on a l’impression de beaucoup aborder le sujet des VSS (parce que de fait le sujet arrive souvent sur la table) mais où en réalité on n’en parle jamais sérieusement : Il n’y a que des discussions méta sur « faudrait-il admettre que les espaces safes qui échappent aux violences n’existent pas ? ». Certaines personnes, contre tout bon sens, défendent que non : les milieux féministes et queer seraient des espaces miraculeusement préservés par leurs bonnes-intentions®. Les autres, avant de pouvoir se pencher vraiment sur les manières de construire des relations saines ou de réparer celles qui n’arrivent pas à l’être, sont contraintts de dépenser une énergie folle à d’abord expliquer qu’il y a un intérêt à aborder ces sujets au lieu de les considérer « réglés a priori par la magie de s’auto-définir féministe/queer ».

Quant aux personnes, parce qu’il y en a quand même, qui réfléchissent vraiment aux enjeux du consentement, elles ont pratiquement toutes été harcelées par d’autres féministes. Alors elles se font rares.

Parce que encore une fois : parler sérieusement des violences sexistes et sexuelles, c’est aussi se pencher sur le fonctionnement des traumatismes qu’elles génèrent, reconnaître quels comportements sont reproduits et quels autres sont des réactions inappropriées (qui révèlent l’existence d’une violence passée plutôt qu’un danger présent). C’est se départir de l’adage simpliste qui donne toujours raison aux victimes. Les victimes n’ont pas toujours raison. Elles sont des personnes comme les autres, elles peuvent chier dans la colle aussi bien que tout le monde. Et on ne les aidera certainement pas en prétendant qu’elles sont parfaites. C’est aussi essayer des construire d’autres types de relations, dans lesquelles il n’y aurait pas, déjà a priori, une potentielle victime et saon potentiell bourreau : si on veut des relations saines, il faudra commencer par réapprendre la confiance, donc par partir du principe que la communication (y compris donc en matière de sexe) se fera à deux, et que si elle échoue, l’échec sera d’abord partagé.

Bref : parler sérieusement des VSS, c’est aussi accompagner les victimes sur un chemin qui n’est pas facile, qui les bouscule en un sens : non pas pour les dénigrer, mais pour les aider à trouver à quels endroits elles ont des leviers d’action pour s’en sortir. Mais c’est compliqué, si on le fait maladroitement, on se met à ressembler un peu trop aux agressaires qui cherchent à faire régner la loi du silence. Or dans un contexte où, rappel, le stigmate sur les violences sexuelles est maximal, cette « ressemblance » de surface suffit pour être miss dans le même panier que les agressaires.

C’est ainsi qu’on se retrouve dans un système où même les personnes qui ont conscience du problème n’osent pas le prendre à corps.

Et cela : ce n’est que dans le meilleur des cas, quand il y n’est pas usurpé de décrire une personne comme victime et une autre comme agressaire, et qu’on se contente de stagner.

Mais la force du stigmate se retourne aussi activement contre nous : à force de normaliser l’exclusion immédiate en réponse aux (présomptions d’)agressions, on se retrouve avec une arme assez puissante pour exclure tout un tas de gens pour tout un tas de mauvaises raisons (ne serait-ce que l’exclusion des gens qui militent activement contre les VSS parce que leurs prises de parole brisent l’illusion que tout va bien). Il y a un pouvoir de nuisance énorme accordé dans les milieux féministes à quiconque est prêt à pointer du doigt unn coupable de VSS. Il suffit de désigner quelqu’un comme « agressaire » (ou juste « problématique » si on ne veut pas se mouiller) pour lea discréditer totalement et que soit lancé à son encontre des véritables campagnes de harcèlement. Et je ne vous apprends rien : s’il existe quelque part un grand pouvoir que rien ne régule, des gens vont forcément en abuser. Même si ces gens sont des féministes.

À ce niveau là, il y a plusieurs choses sur lesquelles il est vital d’insister.

D’abord les mécanismes de victimisation et d’instrumentalisation ont des noms trompeurs. Ils laissent entendre que ce seraient les victimes elles-mêmes qui seraient responsables du phénomène. Ce n’est pas le cas. Les victimes, qui ont souffert et qui cherchent à aller mieux, sont aussi victimes de la victimisation, qui les instrumentalise au lieu de leur venir en aide. Quand on dit qu’il y a un problème de victimisation, cela ne veut pas dire que les victimes (qui existent, et qui méritent qu’on les prennent en compte) devraient serrer les dents et ne plus parler de ce qu’elles ont subit. Cela veut dire que les personnes qui sont extérieures à une situation donnée (même si elles ont connu des situations similaires par ailleurs) doivent arrêter de partir en croisade contre les agressaires présumés (surtout quand elles ne savent souvent même pas dire exactement quels faits elles reprochent, et ce contentent de répéter qu’elles « croient les victimes » auxquelles elles n’ont en fait jamais parlé). Car au fond, la seule chose qu’elles réussissent à produire, c’est accroître leur propre bonne réputation aux yeux des autres féministes.

(À ce moment là on pourrait se demander pourquoi certaines personnes ont manifestement tant besoin de redorer leurs propres images, mais peut-être que cet article est suffisamment long pour que je ne m’attarde pas sur les questions rhétoriques).

Ensuite, la fabrication de qui sera priss au sérieux en tant que victime et qui apparaîtra un peu trop facilement en tant qu’agressaire n’est pas neutre. Dans les milieux féministes, par rapport aux VSS, on se rappelle que la plupart des agressions sont commises par des hommes cis sur des femmes cis. Donc : tout ce qui est suffisamment proche de la féminité hégémonique (aka blanche, valide, afab, maîtrisant le bon vocabulaire) sera par défaut considéré comme une victime, même si elle-même ne sait pas dire de quoi/ne se décrit pas ainsi. En revanche, tout ce que l’on peut rapprocher de la masculinité sera perçu avec suspicion : et là, ce n’est pas la masculinité hégémonique qui dérange. C’est une masculinité fantasmée comme d’autant plus dangereuse qu’elle échappe justement au moins en partie au masculin hégémonique.

Les agressaires idéalls sont les personnes d’autant plus discriminées qu’on leur refuse la reconnaissance même de leur marginalité. Iels ont le pire des deux mondes : coupables par défaut parce que présumément plus proches des hommes impunissables, et très vulnérables à ces accusations puisqu’iels ne disposent en rien de l’impunité des hommes à qui ont les associe. Iels se retrouvent excluus des espaces mêmes qui auraient du les défendre, harceléés jusqu’à ce qu’iels disparaissent socialement (alors qu’iels n’ont parfois nul part d’autre où aller), traumatiséés par la violence de ce rejet.

Iels sont victimes d’un harcèlement transmisogyne, raciste (particulièrement, me semble-t-il : négrophobe et islamophobe), ou psyvalidiste (liste non exhaustive).

(À ce moment là, on pourrait se demander pourquoi personne ne se demande si ces personnes ne sont pas également victimes de violences sexuelles et sexistes, peut-être même de la part des personnes-mêmes qui sont si promptes à les accuser, mais j’ai déjà résolu une fois de ne pas m’attarder sur les questions rhétoriques)

C’est là qu’est la rupture. C’est là qu’on implose de l’intérieur.

On laisse nos milieux se désagréger, malmener ses pairs, et puis, on ne fait rien du tout, car, retour au point de départ : dénoncer ces pratiques, c’est risquer l’opprobre à son tour.

Structure du pot de fleurs

Pour résumer, il y a plusieurs dynamiques qui se renforcent mutuellement et qui empêchent la lutte efficace contre les violences (en l’occurrence sexuelles) d’avancer quand elles sont considérées comme synonyme du mal absolu. On peut notamment reconnaître :

  • L’impossibilité à reconnaître nos responsabilités (qui a envie d’incarner le mal absolu ? Personne)
  • La fausse impression de parler beaucoup du sujet, alors qu’on se contente de parler du fait qu’on devrait (hypothétiquement) en parler (et que les gens qui en parlent le font dans des espaces ultra-marginaux)
  • La difficulté à aborder les nuances du sujet, car réfléchir implique un risque de dire/faire une bêtise, et que cela pourrait être cher payé. Au contraire: incitation à la passivité (ou à la désignation de boucs émissaires pour conjurer nos culpabilités / sentiments d’impuissance)
  • L’instrumentalisation des victimes qui ne sont écoutées que lorsque c’est arrangeant (soit pour donner une bonne image à la personne qui prétend écouter, soit pour en donner une mauvaise à la/les personnes désignées comme agresseuse/s, soit les deux)
  • La discréditation de personnes appartenant à des groupes dont la majorité ne veut pas en les associant aux agressaires (indépendamment du fait que ces accusations soient ou non fondées. Parfois elles le sont, parfois non, mais ce n’est pas le critère déterminant).

À cela il convient d’ajouter un élément important : l’absence d’alliéés.

Il y a des gens qui voudraient être alliéés, et même qui sont parfois considéréés comme tells. Mais, eh, nous-mêmes sommes complètement paralyséés. Alors des personnes extérieures, à qui ont répète à longueur de journée qu’elles n’ont pas à avoir d’avis parce qu’elles ne sont « pas concernées », vous pensez bien qu’elles ne disent rien !

Je discutais un jour avec un gars (tout à fait charmant) qui se demandait pourquoi lui, un homme cis hétéro, était bienvenu dans les espaces féministes. Il me disait qu’on lui avait fait un jour une réponse qui lui avait plu : on lui avait dit « ah mais toi, t’es notre caution hétéro »

Je déteste cette réponse.

Bien sûr, c’est sensé être une blague. Mais elle me semble être prise assez premier degré pour être révélatrice : en fait, il est bienvenu à la condition qu’il ne dise rien, qu’il ne fasse rien, qu’il soit passif.

Et de fait, quand j’ai voulu lui expliquer les dynamiques des violences intracommunautaires dont je suis totalement trauma (y’a un moment dans ma vie, et ce moment n’est pas tout à fait terminé, où j’avais besoin de voir comment les gens réagissaient à cela avant de décider d’accorder ou non mon amitié), il était bien embêté : pour prendre position, il aurait fallut qu’il donne tort sur le sexisme à une personne concernée® ! Impensable !

Bien sûr, y’a une lassitude compréhensible qui explique cette injonction faites aux alliéés à rester à leurs places (moi aussi je suis saouléé des personnes qui ne connaissent pas un sujet et s’en vont faire les takes les plus pétées/molles de l’univers, portées par la méconnaissance-même de l’étendue de leurs méconnaissances). Mais il y a un stade où cette exigence de réserve devient contre-productive.

D’abord, parce que ça crée une position étrange, où ne s’épanouissent que les personnes suffisamment passives pour se satisfaire d’être des pots de fleurs en échange d’une étiquette un peu vide de « bonnes personnes ». Et bon, ptet j’ai tort, mais on peut pas vraiment se plaindre que peu de gens aient envie de ce rôle (qui n’en est pas un) assez déshumanisant quand on y pense.

Ensuite, parce que même si on arrivait à convaincre la terre entière d’écouter sagement les concernéés® et d’apprendre par cœur toutes les règles de bonne conduite… en fait je ne crois pas la tâche possible, pas comme ça. Je veux dire : il y aura toujours des situations inédites auxquelles les gens devront faire face, et iels ne seront capables d’y réagir proprement sans avoir appris à analyser. Toutes règles ont des exceptions que les gens ne sauront pas déceler s’iels les appliquent avec un prisme « je n’ai rien à comprendre, je n’ai pas à avoir d’avis, je respecte et c’est tout ». À mes ennemiis politiques, qui ne veulent rien comprendre, certes, je dis « bah écoutes si tu veux pas comprendre, ne comprends pas, mais ça ne te donne pas le droit de me piétiner pour autant ». Mais de mes alliéés, ou des personnes dont j’espère qu’elles le deviennent, j’attends qu’iels se comportent comme des personnes, comme des adultes. J’attends qu’iels réfléchissent.

Et enfin, je me permets d’ajouter qu’à mon sens cette question de l’absence d’alliéés est loin d’être subsidiaire. Je veux dire : ce n’est pas seulement une question de nombre pour faire pencher la balance (auquel cas, certes, des pots de fleurs humains suffisent). Je crois qu’on a besoin d’alliéés, parce qu’on a besoin de croiser les regards.

C’est quelque chose que j’ai vu parce que personnellement, je suis trauma par l’exclusion, la transmisogynie, et les dynamiques de harcèlement intracommunautaire dont personne n’a rien à cirer (ne serait-ce que par non-connaissance du sujet). Alors chaque fois que j’ai une réaction qui est plus de l’ordre de la réaction traumatique que du bon sens, il y a quelqu’un pour me le signaler. Et mine de rien, c’est parce qu’on me le signale à chaque fois que j’ai si vite appris à reconnaître ces moments moi-même, et que j’ai pu aller mieux. Je ne pense pas que j’aurais si vite appris à prendre du recul si j’avais été entouréé uniquement de personnes allant toujours dans mon sens (soit parce que trigger par les mêmes choses, soit parce qu’en position d’alliéé-pot-de-fleurs qui a trop peur de me bousculer). J’ai appris parce que j’avais des alliéés, qui n’avaient pas forcément vécu les mêmes choses que moi mais qui étaient disposéés à m’écouter et qui n’étaient pas paralyséés par la peur de dire une connerie à la simple évocation des causes de mon ptsd.

Précision quand même : quand je dis que j’avais des alliéés, iels ne sont pas tombéés du ciel non plus.

Y’a fallut que j’explique, que j’argumente, que j’écrive (de la non fiction d’abord et puis de la fiction quand j’en ai de nouveau été capable), que j’accorde ma confiance, que j’accepte que ce ne soit pas facile.

Au final, iels ne sont pas si nombreuxes. Mais iels sont de vraiis alliéés, pas des plantes vertes.

Et l’idée, je vous spoile un peu, c’est que j’escompte bien être en retour unn véritable alliéé pour ces personnes aussi, pas une plante verte.

L’antisémitisme sur l’échiquier politique français

Voilà l’actualité qui défoule les passions : lors d’une allocution présidentielle datée du 12 juin, en préparation aux élections législatives, Emmanuel Macron a dit qu’il fallait combattre « les extrêmes » avec d’un côté l’extrême droite qui « fait la différence entre les vrais et les faux français » et de l’autre « l’extrême » gauche qu’il accuse (entre autre mais c’est cela qui aura retenu l’attention) de s’être « rendue coupable d’antisémitisme ».

J’ai bien conscience que trop de gens ont donné tout un tas d’avis biaisés sur la question. Et que j’ai mes propres biais. Mais je pense, dans ce cas précis, avoir le mérite de savoir par quoi je suis biaiséé : j’ai l’impression d’être face à une situation que je connais par cœur, que j’ai mille fois analysée (dans un autre contexte, avec d’autres mots, pour d’autres enjeux, mais je pense en terme de structure et je retrouve des dynamiques, celles-là même que je détaillais ci-avant).

Il y a une violence systémique (l’antisémitisme donc) qui (par définition) infuse toute la société (sans s’arrêter aux porte de la Gauche sous prétexte que ses militants proclament leurs bonnes intentions). Or, il y a un très fort stigmate sur l’antisémitisme : Après la Shoah, il y a eu tout un travail de devoir de mémoire, pour que chacun apprenne et intègre ce que l’Europe avait fait aux juifves, et se promette que « plus jamais ça ». Cela ne veut pas dire que l’antisémitisme a magiquement disparu par un procédé fantasmé de « on a vu le summum de l’horreur et ça dissuade a jamais de recommencer ». À la place, c’est plutôt un fort sentiment de honte qui s’est installé. Une honte paralysante qui a empêché de faire vraiment le travail nécessaire pour déconstruire l’antisémitisme, qui a pu continuer à proliférer, mais en souterrain.

Concrètement, cela veut dire que les actes antisémites continuent à exister, et même à exister de manière massive et explicite (en faisant mes recherches pour cet article j’ai lu des dizaines de témoignages de juifves expliquant avoir été traitéés de « sale juifves » à l’école primaire, une insulte qui ne laisse clairement aucun doute sur son caractère antisémite). Mais en même temps, même des partis littéralement fondés par des néo-nazi comme le rassemblement national, qui ne cachent par ailleurs pas leur xénophobie, tentent pour améliorer leur image de se positionner « contre » l’antisémitisme (qui fait pourtant partie de leur ADN). Tout récemment encore, on a vu la création du collectif juif de gauche Golem en réaction à la participation du RN à une marche contre l’antisémitisme (source).

Au final, on n’a pas résolu le problème de l’antisémitisme, on a mit une chape de plomb par dessus, et on s’est empêchéés de réfléchir.

Cette situation de « paralysie du tabou » se manifeste de plusieurs manières :

  • L’impossibilité à reconnaître nos responsabilités : cf toutes les tribunes de gens à Gauche qui expliquent contre tout bon sens qu’il n’y aurait pas du tout d’antisémitisme à Gauche (il y a des variantes, des gens qui reconnaissent que l’antisémitisme est partout, donc y compris à Gauche, mais qui restent sur la défensive : en les lisant on sent qu’iels sont plus outréés par l’idée d’être accuséés d’antisémitisme que par l’existence-même dudit antisémitisme ou par le procédé global de manipulation politique dans lequel l’accusation s’inscrit)
  • La fausse impression de parler beaucoup du sujet, alors qu’on se contente de parler du fait qu’on devrait (hypothétiquement) en parler : le débat public est plein de gens qui utilisent le mot « antisémitisme » mais sans jamais dire ce qu’ils entendent par là (parce qu’au fond ce n’est pas cela qui les intéresse). Les personnes qui essaient d’aller plus loin n’ont plus vraiment l’espace pour le faire puisque tout le paysage médiatique relatif à l’antisémitisme est saturé par des débats qui n’ont en fait pas grand rapport avec l’antisémitisme en tant que sujet.
  • La difficulté à aborder les nuances du sujet et l’incitation à la passivité (ou à la désignation de responsables extérieurs pour conjurer nos culpabilités / sentiments d’impuissance) : Vraiment, si on voulait parler d’antisémitisme, il faudrait parler des fondements sur lesquels il repose, c’est-à-dire, comme beaucoup d’oppressions, sur la présomption d’un pouvoir fantasmé : comme la pensée incel qui associe les femmes avec un pouvoir de séduction à des fins castratrices, ou comme l’idéologie TERF/TERQ qui associe les femmes trans à un pouvoir patriarcal masqué pour mieux agresser les innocentes VraiesFemmes®…,  l’antisémitisme associe les juifves à un pouvoir économique : les juifves seraient détentaires d’une puissance financière énorme grâce à laquelle iels tireraient toute les ficelles de la société, des médias, de la politique, de la santé publique, etc (beaucoup de théories complotistes sont ainsi liées à l’antisémitisme, d’où la montée qu’on a pu observer pendant le covid dans les discours antivacc). Il faudrait détricoter la manière dont les juifves sont ainsi faussement tenuus responsables de tout un tas de problèmes qui, eux, existent (parfois) réellement. Par exemple : il y a effectivement un problème de concentration/partialité des médias détenus par des milliardaires qui se fichent de la déontologie journalistique. Mais quand Bolloré utilise CNews ou Europe1 pour faire la promotion des idées du rassemblement national (source), y’a aucun rapport avec les juifves. Le gars est catholique et le revendique. Le résultat, c’est que des liens sont faits, et qu’il n’est du coup 1. pas du tout impossible de pratiquer un anticapitalisme fondé sur de l’antisémitisme, et 2. pas non plus difficile de voir de l’antisémitisme dans un anticapitalisme qui ne se prononce pas sur la question. Il faudrait analyser tous ces liens antisémites, trouver la manière dont ils se structurent et comment leur existence se révèle parfois au travers de détails (le principe des dogwhislte, c’est que se sont des indices que ne voient que les personnes qui savent où regarder, qui sont parfois repris par des personnes qui n’ont aucune conscience de ce qu’elles renvoient/entretiennent, et qui ne constituent jamais une preuve suffisante car ils sont conçus pour ne pas être incriminants), tenter de tout démêler : faire le tri entre ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas, ce qui relève de l’antisémitisme et ce qui relève de son instrumetalisation, ce qui est signe de haine, de biais ou d’ignorance. Et franchement je vois pas comment on peut faire ça sans se salir un peu les mains. Alors les personnes qui se veulent alliéés ne s’y risquent pas : elles se contentent de dire qu’elles, puisqu’elles sont de bonnes personnes, ont conscience qu’il y a un problème, et aussi que ce n’est pas leur place de le régler, et qu’elles peuvent donc être très fières… de ne rien faire du tout (à part se renseigner en écoutant les concernéés, et pointer d’un doigt accusateur toutes les personnes qu’on leur désigne comme coupables d’antisémitisme)
  • L’instrumentalisation des victimes qui ne sont écoutées que lorsque c’est arrangeant : Le truc, quand Macron accuse la Gauche d’être antisémite, c’est que l’antisémitisme n’est fondamentalement pas la question. Et c’est justement tout le problème. Il y a deux sujet important (le programme de la Gauche d’une part, et tous les enjeux d’antisémitisme d’autre part), et ils sont tous deux détournés par les takes de gens moins intéresséés par l’antisémitisme que par le fait de « prouver » ne pas l’être : soit en innocentant toute la Gauche dont iels font partie, soit en accusant toute la Gauche pour s’en différencier sur ce point. Deux attitudes en apparence opposées mais qui sont les deux facettes du même sentiment de culpabilité (je le dis souvent : la culpabilité c’est le pire moteur d’action). Et pouf, la Gauche implose. (Et so far j’ai vu aucune personne juifve qui vivait bien la situation : logique, qui vivrait bien d’être objectifié par l’ensemble de la classe politique ?)
  • Le discrédit de personnes appartenant à des groupes (en l’occurrence c’est carrément toute la Gauche qui est visée. LFI en particulier, certes, mais toute la Gauche parce qu’elle a acceptée de s’unir face à l’extrême-droite) dont la majorité (présidentielle) ne veut pas : Au final, le fait de savoir si la Gauche est ou non antisémite n’est pas la question. Ça devrait. Mais c’est quand même pas la question. On pourrait se pencher sur chaque prise de position ayant nourrit l’accusation. Comme toute la Gauche est visée, forcément, certaines seront fondées, d’autres non. On dépenserait toute cette énergie et on ne serait pas plus avancéés, car le résultat serait le même : aux yeux de l’opinion publique (celle à tendance apolitique qui n’a pas forcément de recul sur les différents programmes mais qui est influencée par les discours venus d’une position d’autorité, comme une allocution présidentielle ou une idée massivement partagée par les médias), la Gauche apparaît soudain comme dangereuse : elle est antisémite, et l’antisémitisme c’est le mal.

Je le disais : j’ai conscience de mes biais.

Je sais que tout ceci m’affecte parce que la manière dont l’échiquier politique dans son ensemble traite la Gauche ressemble à la manière dont j’ai vu, encore et encore, les milieux féministes traiter les femmes trans autour de moi (c’est pas du tout les mêmes enjeux, on est bien d’accord : dans un cas les fins sont politiques, et le but est de remporter des sièges à l’assemblée nationale, avec pour risque si la diabolisation de la Gauche fonctionne de se retrouver avec un gouvernement fasciste. Dans l’autre les histoires sont le plus souvent interpersonnelles, le but est de débarrasser un espace de personnes individuelles, avec pour risque si la diabolisation fonctionne que les cibles se retrouvent totalement isolée et se suicident. Vraiment, l’échelle n’est pas la même, et cela crée des différences. Mais les dynamiques sont les mêmes). Alors je suis un peu trigger : pas tellement par l’accusation, mais par ce qu’elle déclenche, par ce qu’elle implique.

Vraiment, il n’y a aucun doute que Macron essaie de diaboliser la Gauche, et même de la présenter comme la pire option possible. Dans une récente intervention à l’occasion de la commémoration du 18 juin (elle dure 48 secondes, vraiment allez jeter un œil c’est édifiant), il mettait par exemple dos à dos l’extrême-droite et « l’extrême » gauche en ces termes :

  • Selon lui, l’extrême-droite « propose des choses qui font plaisir aux gens, mais » ne sont pas réalistes en terme de budget. Il liste ensuite des mesures désirées par l’ensemble de la population (comme l’annulation du recul de l’âge de départ à la retraite), qui donnent donc une bonne image à l’extrême-droite malgré son absence d’engagement sur ces sujets (source : le RN revient sur sa promesse d’abroger la réforme des retraites). C’est d’autant plus trompeur que ces points (qui convainquent les français de voter à l’extrême-droite) sont en fait portés par la Gauche, et que les vrais points du programme de l’extrême droite (qui devraient nous dissuader de les envisager) ne sont même pas évoqués.
  • Selon lui toujours, « l’extrême gauche c’est quatre fois pire, en terme de coût » (alors qu’à gauche il y a aussi des points de programme pour augmenter les recettes, pas juste les dépenses, si bien que loin d’être hors sol, le programme avait été approuvé par 170 économistes à l’époque de la NUPES (en fait quand on va voir la liste complète des signataires il y a plus de 300 noms maintenant)). Il liste ensuite des mesures qui divisent, comme l’abrogation des lois racistes sur l’immigration promulguées pendant son mandat (ce qui est loin d’être prioritaire pour la plupart des gens étant donné que la plupart des gens sont racistes), ou le changement de sexe en mairie (ce que lui-même, cédant à une transphobie qui accaparera finalement toute l’attention, qualifie « d’ubuesque »)

Le procédé de manipulation me semble ici sauter aux yeux. On a un président de la république française qui déclare, devant caméra, que la Gauche est « quatre fois pire » (!!!) que l’extrême-droite !? Et le tout passe inaperçu par un procédé facile de détournement de l’attention : il dit que changer de genre en mairie est ubuesque et l’extrait est relayé partout pour sa transphobie. Était-ce transphobe ? Oui. Mais diantre concentrons-nous > c’était aussi raciste (plus subtilement certes, il n’a pas dit lui-même qu’il était « ubuesque » de revenir sur la loi immigration, il a compté sur le fait que les gens le pensent tous seulls), et c’était surtout l’aveu qu’à ses yeux, s’il ne peut pas rester sur le trône, il préfère le fascisme au progrès social.

Ce qui attire mon attention ici, c’est moins chaque élément de sa prise de parole pris isolément que l’ensemble : la manière dont le tout s’articule pour former une image claire des intentions globales de Macron.

C’était la même chose dans l’allocution présidentielle du 12 juin, celle où il qualifie la Gauche d’antisémite : il l’accuse aussi, et dans la même phrase, de « communautarisme » (pour les gens qui ne connaitraient pas les dogwhistle de racisme : ce mot là en est un), « d’antiparlementarisme » (insérer ici une blague sur les 49.3) et d’être en « rupture de fait avec beaucoup de valeurs de la république » (lesquelles nous ne saurons pas, peu importe, celles que vous voulez). Je n’ai vu personne commenter ces accusations là. Pourtant, ce n’est pas un hasard si elles sont présentées ensemble : elles opèrent de la même manière. Elles sont assez floues pour n’être pas vérifiables, assez vagues pour que chacun puisse y projeter n’importe quoi, et en même temps connotées assez négativement pour générer une inquiétude/un rejet.

Et encore une fois : dire qu’il n’y a ici rien de concret ne veut pas dire qu’il n’y a rien qui repose sur une vérité (ou même juste un fond de vérité). Seulement : les accusations n’ont pas besoin d’être ni vraies ni fausses pour être opérantes.

Leur but, c’est de discréditer.

Comme on dit par chez moi : « quand on veut tuer son chien, on dit qu’il mord »

Conclusion – Plus d’alliéés, moins de pots de fleurs

Il y a beaucoup d’autres choses qui pourraient être dites sur l’antisémitisme (par exemple faire des hypothèses sur ce à quoi précisément Macron faisait référence en utilisant ce mot pour qualifier la Gauche, probablement lié à un amalgame entre « être contre le génocide perpétré par l’Etat d’Israël sur le peuple Palestinien » et « être contre l’existence-même d’un Etat d’Israël / être antisioniste » et « être contre la population juive toute entière / être antisémite ». Y a-t-il des gens à gauche qui font eux-même cette double liaison ? Très certainement. Est-ce qu’il y a aussi des gens qui s’efforcent (avec plus ou moins de succès) de ne pas la faire mais qui par raccourci se voient accuséés d’antisémitisme par des gens qui la font à leur place dès qu’iels dénoncent le génocide (alors que vraiment, être contre les génocides, ça me parait assez basique comme position) ? Aussi. Est-ce que du coup ce sont parfois les accusations même d’antisémitisme qui relèvent de l’antisémitisme et c’est le bordel ? Hum…

(À ce moment là on pourrait se demander pourquoi certaines personnes à droite et à l’extrême-droite ont tant besoin de diriger le faisceau accusateur de l’antisémitisme, et plus largement de la « rupture de fait avec beaucoup de valeurs de la république », vers l’autre côté de l’hémicycle, mais bon, j’ai déjà statué contre ce genre de questions rhétoriques).

Mais en vrai je pense qu’il y a des gens qui pourront faire cet exercice bien mieux que moi : je ne parle pas en tant qu’experte de l’antisémitisme, mais des dynamiques d’exclusion basées sur l’instrumentalisation d’une violence réelle.

Ce que je vois, dans cette histoire, c’est d’abord qu’on a un sérieux problème d’antisémitisme en France : on a retenu le mot, et sa connotation (négative) mais pas ce qu’il recouvre. Plus spécifiquement, on a tellement appris à craindre le mot qu’on n’a plus voulu regarder ce qu’il recouvrait. On en a fait un tabou, c’est à dire un interrupteur de la pensée. C’est-à-dire une sérieuse faille que n’importe quel réac peut utiliser contre nous.

La deuxième chose, pas franchement une nouveauté ça fait vingt ans qu’on l’observe, c’est qu’on a un sérieux problème de monté de l’extrême droite en France : on est au stade où les gens de droite (qui il y a sept ans encore se prétendaient « au centre ») envisagent de laisser les clefs du pays aux fascistes (ceux-là même contre qui iels continuent de s’auto-proclamer « unique rempart »). Or l’extrême droite et ses nouveaux alliéés « républicainns » sont très contentts de pouvoir utiliser à leur avantage, entre autre procédés de manipulation (dont l’entretien de paniques morales sur des sujets comme l’immigration, l’Islam ou la transidentité ; dont des procédé discursifs ; dont le matraquage médiatique ; etc), le fait qu’on ait un sérieux problème d’antisémitisme.

Cela étant dit : qu’est-ce qu’on fait ?

Ne plus taire, désamorcer.

Je l’ai dit : je m’exprime en tant que personne ayant vu de (trop) près les mécanismes de discrédit/exclusion.

Vous pouviez m’ignorer quand je parlais de la violence intracommunautaire (transmiso) dans les milieux féministes, me dire « non mais Plume, tes problématiques là elles touchent quatre personnes et demie, puis je connais plein de meufs trans qui ne voient aucun problème à raser les murs, tu veux juste défendre ta meuf, arrête de nous saouler ».

Mais en fait, là, l’enjeu, c’est d’arriver ou pas à proposer une alternative convaincante à l’extrême-droite. Avec la menace, en cas d’échec, de se retrouver avec un pays dirigé par des fafs.

Du coup : deux choses.

La première : Il est inutile de répondre aux accusations

Ici c’est une accusation collective donc ça a pas les mêmes effets destructeurs sur la psychologie individuelle, mais le groupe entier réagit comme une grosse personne qui oscille entre deux désirs opposés mais complémentaires : celui de clamer son innocence, celui de demander pardon à genoux. Les deux sont des réflexes d’autopréservation : on est accuséés, s’éveille donc un sentiment de culpabilité (qui existe indépendamment du fait qu’on soit ou non objectivement coupable), on veut le faire taire donc on se tourne vers la source de la culpabilisation en espérant être pardonnéés ou blanchiis.

Ce sont deux réactions assez instinctives mais elles ne marchent pas, parce que ceusses qui nous accusent se fichent de la véracité de leurs attaques, iels ne nous accorderont certainement pas ni l’acquittement ni l’absolution. On ne fait qu’accroître notre propre mal en les cherchant en vain (et en même temps, on s’excite, et les regards extérieurs qui n’avaient pas forcément d’avis ne font que nous trouver encore plus louches. L’adage veut, après tout, que « seule la vérité » blesse)

Rappelons-nous encore une fois : ces accusations arrivent dans un contexte particulier, elles viennent de gens qui ne cachent pas leur envie de décrédibiliser la Gauche, et qui se fichent de la véracité de leurs attaques. On ne les fera pas changer d’avis.

Quant aux personnes qui répètent, il est plus efficace de leur renvoyer des questions : de leur demander ce qu’elles entendent par telle ou telle accusation, et les regarder bégayer parce qu’elles ne savent pas. Pour le reste : se concentrer sur l’essentiel, sur le projet de la Gauche et pourquoi il est vital de le défendre. (On peut parler d’antisémitisme, aussi, évidemment, mais faisons-le avec les gens qui se rappellent qu’il s’agit d’un sujet à part entière, pas d’un mot clef pour annuler toutes les propositions de progrès social portées par la Gauche)

Ce qu’il faut faire, et c’est certes plus difficile, c’est apprendre à se soucier plus de notre propre jugement que du regard des autres.

Les avis extérieurs importent, bien entendu. Ils nous informent, nous bousculent, c’est grâce à eux qu’on progresse. Mais justement, il ne faut pas les laisser nous paralyser. Si quelque chose (une accusation directe, mais aussi une remarque, un regard, un commentaire qui ne nous était pas forcément adressé mais que l’on prend personnellement, etc) nous fait ressentir de la culpabilité, ou de la honte, c’est d’abord en nous même que ça se passe. Il faut se demander :

  1.  Quels sont les comportements précis incriminés ? Si vous ne savez pas, et que personne ne peut vous le dire, c’est pas la peine d’aller plus loin, reprenez juste le cours de votre vie. Au pire, si y’avait quelque chose, vous pourrez vous en re-préoccuper au moment où vous saurez (sinon vous perdez juste en énergie, en temps, et en santé mentale).
  2. Est-ce que ces comportements étaient en adéquations avec vos valeurs ? Si oui, y’a pas de raison de vous sentir coupable/honteuxe, reprenez le cours de votre vie. Si non, faites en sorte de changer : ça peut être simplement « s’assurer de ne plus recommencer » pour les choses les plus simples, ou entamer des travaux de transformation plus importants, et ça peut aussi passer par présenter des excuses/réparations (aux personnes que vous avez blessées, pas au randoms qui jouent les héros en vous pointant du doigt). Ensuite, puisque vous avez mis en place le nécessaire pour être à nouveau en adéquation avec vos valeurs, il n’y a plus de raison de se sentir coupables/honteuxes plus longtemps. Vous pouvez reprendre le cours de votre vie.

Le cœur du sujet : c’est d’arriver à reprendre le cours de sa vie sans attendre que la validation vienne de l’extérieur.

Dans le cas qui nous occupe (Macron qui accuse la Gauche d’être antisémite), cela pourrait donner:

  1. Quels sont les comportements précis incriminés ? Bon si on s’en tient à ce qu’a dit Macron, y’en a aucun. Mais admettons que le déclencheur n’ai pas été l’allocution mais les réactions qu’elle a suscitées, qui nous ont fait prendre conscience du fait qu’on a plus peur d’être accuséés d’antisémitisme que d’être de fait antisémites, et que c’est un problème.
  2. Est-ce que cela est en adéquation avec nos valeurs ? Là, je ne peux évidemment pas parler pour toute la Gauche, mais je dirais que non. Je pense qu’on doit travailler à se recalibrer pour sortir de la paralysie du tabou. Et c’est ce qui nous mène à la deuxième chose.

(Notez avant de passer à la suite : bien sûr, le fait d’être droit dans ses bottes ne résout pas tout. Si le reste du monde nous déteste et qu’il a les moyens matériels de nous nuire (par exemple en transformant notre pays en État fasciste), cela ne nous sauvera pas. Mais c’est ce qui permet de tenir. Aka : c’est ce qui je pense permettra à la Gauche de ne pas imploser au moment où on a le plus besoin d’elle)

La deuxième : Il faut arrêter d’avoir peur de mal faire.

J’ai l’impression de dire ici une banalité, quelque chose de répété ad nauseam. Je me rappelle de mes profs au lycée qui aimaient raconter cette anecdote sur Edison content d’avoir trouvé « 10.000 solutions qui ne fonctionnent pas » parce que chacune le rapprochait de trouver celle qui marcherait, de ma mère qui me dit « c’est en faisant qu’on apprend », et je peux encore trouver mille autres citations dans ce sens, de Lao-Tseu « l’échec est le fondement de la réussite » à Roman Gary « dans la vie, toutes les réussites sont des échecs qui ont raté » (plus radical xD). Et puis je sais pas : quand on est ingénieurr on ne produit rien sans avoir fait des prototypes d’abord, quand on est couturièrr on commence par faire une toile d’essai pour ajuster le patron, quand on est scientifique on fait trouze milles tests, quand on est artiste on enchaîne les répétitions… Qui donc peut se targuer d’avoir tout réussi du premier coup ?

Mais dans les milieux militants/de Gauche, c’est semble-t-il une réalité qu’on a oubliée.

Le truc c’est : si on grossit le trait, on est dans une société régie par tout un tas de normes (dont certaines (beaucoup) sont oppressives, discriminantes, inégalitaires, ou juste bêtement arbitraires). Ce qui caractérise la droite, c’est l’idée que ces normes sont immuables/universelles/naturelles, et qu’en conséquence, notre seul marge de manœuvre consiste à tirer le meilleur bénéfice possible de la situation telle qu’elle est (typiquement, puisqu’on vit dans une société capitaliste, la droite défend qu’on ne peut pas en sortir et qu’il faut laisser les équilibres du marché tels qu’ils sont sans rien contraindre : il est naturel que les riches soient riches et que les pauvres soient pauvres. C’est la méritocratie. L’extrême-droite, du moins celle qui nous menace actuellement, est sur cette même ligne « on ne peut pas changer les lois du marché » mais prétend changer un peu la répartition de « à qui tout ceci bénéficie » en ajoutant des règles qui discriminent les immigrés et autres minorités au profit de gens suffisement autocentréés et désespéréés pour croire que la seule manière qu’iels ont de s’en sortir consister à écraser les autres). Ce qui caractérise la gauche, à l’inverse, c’est la conviction que les normes peuvent et doivent changer. Il y a donc, outre la conscience/ambition d’être dans le camp du progrès (qui représente tout de même une certaine pression), un désir d’échapper aux normes (et donc aux idées) qui nous ont forgéés (et dont on ne se défait pas si facilement) : pas envie, donc, de retrouver ses idées en nous.

Sauf que, toujours cette dynamique du non-dit qui empêche d’avancer : ce n’est pas parce qu’on refuse de voir une réalité qu’elle disparait. En fait, la-dite réalité à toute les chances de devenir un problème si, par déni, on refuse de la prendre en compte.

C’est comme sur cette vidéo d’une collectionneuse de théières à qui on demande comment elle fait ses poussières : « Mes pou-quoi ? J’ai une technique imparable pour ça. Cette technique c’est de ne surtout pas toucher les théières. Comme ça une couche de poussière se dépose uniformément sur chacune des théières, et puis finalement, de loin, dans le noir, les yeux fermés, eh bien ça ne se voit pas. Après ce qui est un peu con c’est que moi je suis allergique à la poussière. » Je me dis que les gens de Gauche sont un peu comme cette collectionneuse : on s’efforce de ne « toucher à rien » pour préserver l’illusion qu’il n’y a rien à régler… et la poussière continue de s’accumuler (car la poussière n’arrête jamais de s’accumuler), ensuite on joue les pikachu choqués quand on se retrouve en choc anaphylactique.

Il faut faire la poussière.

Il faut accepter qu’au moment où on la fait, on la révèle : Au lieu d’une couche homogène et discrète qu’un œil dissipé peut ignorer, on a des gros moutons à jeter à la poubelle, des particules qui s’envolent à travers la pièce. Mais c’est à cet acte de dépoussiérer qu’il faut accorder de la valeur (même si c’est salissant), pas à l’inaction par laquelle on arrive à rester dans le déni (jusqu’à ce qu’on ne puisse plus).

Il faut célébrer les échecs et les ratés de ceusses qui essaient, pas la passivité de ceusses qui craignent trop les faux pas pour tenter quoi que ce soit (et se contentent de suivre les trends, terrifiéés à l’idée de se tromper).

Il faut intégrer une fois pour toute que le pire, ce n’est pas de mal faire. C’est de ne pas apprendre de ses erreurs. Or la meilleure manière de ne pas apprendre de ses erreurs, c’est de refuser d’en faire.

Je veux dire : on est senséés être le camp de l’espoir (celui d’un avenir meilleur, plus juste), et on est paralyséés par la peur du faux pas. Ça ne peut pas marcher !

Je sais bien, il n’y a aucune garanti que ça marche si on fait autrement.

Mais voilà ce que je constate, ce que l’on constate toustes : la Gauche est divisée. Elle essaie de se faire la porte parole d’une pluralité de voix qui ne se comprennent pas et, pire, ont renoncé à essayer. Il y a des personnes queers, racisées, immigrées, précaires, exerçant des professions dévalorisées, isolées, handicapées, etc. Ce sont des groupes qui se recoupent, mais qui ne se mélangent pas, car chacun, quand il défend ses intérêts, demande aux autres de ne pas s’en mêler. De soutenir, oui, mais sans rien produire d’eux-même. Encore une fois, c’est une situation qui résulte d’un certain bon sens : entre une personne qui vit une réalité au quotidien et une autre qui s’y intéresse depuis l’extérieur, la première a bien plus de chances de savoir de quoi elle parle. Et en même temps, on bloque la réflexion, on empêche la création d’un collectif, d’un « nous », on alimente un défaitisme : on part du principe que les alliéés doivent être des pots de fleurs parce que, au fond, on n’arrive pas à espérer qu’iels puissent être mieux que cela. Et chacune de leurs erreurs sert de biais de confirmation. Tout ce qu’on s’autorise à espérer, c’est que les « non concernéés » se taisent, et en échange on accepte de se taire en retour quand c’est nous qui ne sommes « pas concernéés ».

Je ne veux pas me taire.

Je crois que nous sommes toustes concernéés, et qu’on a oublié de s’en souvenir.

Tous ces groupes, toutes ces minorités, ne sont pas indépendants les unes des autres. Sans même parler d’intersectionnalité, la manière dont certains groupes ont été traités dans l’histoire à impacté le traitement d’autres groupes. Personnellement par exemple, je parle souvent de racisme, ce qui ne veut pas dire que je produis à la place des personnes racisées des discours qu’elles auraient pu faire en mieux sur « ce que cela fait de le subir ». J’aborde la question selon un autre angle, celui de la blanchité, c’est à dire celui de la manière dont a été construite la suprématie blanche : il fallait, pour attester de la « supériorité » de la « race » blanche, établir selon quels critères ladite supériorité était évaluée. C’est cela qui a mené notamment à l’exacerbation normative de la binarité homme/femme, ou au développement de l’eugénisme : c’est à dire, que c’est ce qui à mené à l’homophobie, à la transphobie, et au validisme. Et je suis foutrement concernéé par ça, en fait.

Au lycée (ou au collège ?), je me rappelle avoir entendu un prof se plaindre de la manière dont les cours étaient enseignés « tout est trié en différentes matières, disait-il (je paraphrase, hein, c’était y’a plus de quinze ans), il y a l’histoire d’un côté, et la svt, et la littérature, et la géographie, les langues, la physique-chimie, les mathématiques… et les élèves apprennent chaque leçon de manière indépendante et ne comprennent pas qu’elles servent toutes à expliquer le même monde. On devrait apprendre à faire les liens »

C’est pareil pour nous : chaque groupe, chaque minorité, et même chaque personne au sein de chaque groupe, a son propre point de vue. Mais tous ces points de vues regardent le même monde. Il faut qu’on apprenne à faire les liens.

Il faut qu’on apprenne à être des vraiis alliéés, actifs, osant.

Tout ceci peut paraître un peu trop naïf, ou un peu trop abstrait.

Mais en réalité, ça ne l’est pas tant que ça. D’abord, on a besoin d’espoirs (si on n’en a pas, que l’on commence à croire que rien ne changera, on n’est pas loin de se dire que la seule option de survie consiste à tirer la couverture à soi et, pour peu qu’on arrive à se sentir « pas trop viséés » par la haine xénophobe et transphobe des fafs, on entame déjà le virage à droite). Et puis surtout, tout ceci peut se traduire en actes, à notre échelle.

On a beaucoup parlé d’antisémitisme, mais j’ai vu aussi notamment beaucoup de personnes noires demander à ce que la Gauche se soucie un peu plus d’être décoloniale, et qu’elle s’en soucie maintenant, parce qu’il n’est jamais trop tôt pour le faire. Plus précisément, parce que si on répond « ce n’est pas le moment » maintenant, il y a tout à parier que ce ne sera pas non plus le moment plus tard. C’est plus facile d’ajuster pendant qu’on est en train de tout construire, que de tout modifier quand tout est déjà établi. On dit qu’on « s’engueulera plus tard » comme si la dispute violente était inévitable, et qu’il s’agissait seulement de la repousser, quitte à ce qu’elle soit pire. Ne peut-on réfléchir à comment résorber nos tensions sans passer par l’affrontement ? Ne peut-on pas désamorcer ce que l’on sait être des bombes à retardement ?

Bien sûr, on ne va pas pouvoir régler tous nos problèmes en une semaine top chrono, bien sûr, on ne fait qu’agir à notre niveau et les dirigeantts politiques n’auront jamais connaissance de chacune de nos tentatives, bien sûr on ne va pas convaincre les gens qui assument d’être racistes et haineux, ni ceux qui votent RN sans en connaître le programme.

Mais on peut dès à présent œuvrer pour créer des cultures militantes qui soient saines, qui ne reproduisent pas en interne les dynamiques d’exclusion qu’on prétend combattre. Ça fait longtemps que je le dis, que beaucoup d’autres personnes, depuis leurs propres perspectives différentes de la mienne le disent aussi.

Ce que j’affirme là, c’est que nous allons continuer à le dire. Même si le contexte est compliqué. Justement parce que le contexte est compliqué. Parce qu’il nous faut construire une Gauche qui résiste à l’adversité, aux attaques, une Gauche qui ai l’air accueillante pour les nouveauls venuus, qui puisse se maintenir et grandir, une Gauche qui soit véritablement capable de repousser l’extrême droite, les enjeux sont trop grands pour qu’on n’en parle pas.

Parlons-en, même si on en parle mal, on en parlera de mieux en mieux.

Ce que j’ajoute, c’est que ce n’est même pas particulièrement hors de portée : je ne demande pas la perfection, bien au contraire, je voudrais qu’on se détende, qu’on accepte de ne pas l’être, ni maintenant ni même jamais. C’est pas l’important. L’important c’est d’avancer, de s’autoriser à réfléchir. Et cela, c’est à la portée de tout le monde.

Ça commence maintenant.

Plus d’alliéés, moins de pots de fleurs.

 

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J’insiste, mais c’est important. Je ne critique pas la Gauche pour la décrédibiliser. Je le fais dans l’espoir, peut-être un peu vain, de lui donner les outils dont elle a besoin pour atteindre ses objectifs.

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