![FASCISME [fa.ʃism] n.m. 1. (Historique) Doctrine et système politique établi par Mussolini entre 1922 et 1943. 2. (Par extension) Doctrines autoritaires dont les caractéristiques se rapportent au fascisme historique /// [loading] /// Caractéristiques à lister ◆ (Actualité) Voir “montée du fascisme”. Besoin d’une définition ⮕](https://plumedserves.fr/wp-content/uploads/2025/02/Fascisme-parlons-mot-1024x1024.png)
C’est un mot qu’on entend beaucoup, mais qu’on définit au final très peu.
C’est un mot qui fait peur, que l’on voudrait garder loin. On voudrait se dire que cela n’arrivera plus, ou en tout cas pas chez nous. On voudrait croire qu’on a appris les erreurs du passé.
On est de plus en plus, pourtant, à alerter sur la montée du fascisme.
Mais toujours, quand je parle de ces sujets avec des gens de ma famille, on me dit que j’exagère : oui, il y a des choses inquiétantes qui se passent dans le monde. Mais en désignant comme fascistes des choses qui ne le sont pas tant, ne prend-on pas le risque de faire perdre sa substance au mot ? De le rendre inoffensif, car associé à des choses qui, au final, toute anormales soient-elles, restent quotidiennes ?
Ce que ce type d’échange révèle, en réalité, c’est un besoin de donner une définition précise, qui ne se limite pas à « c’est le mal absolu » (auquel cas, en effet, on se retrouve à des discussions stériles sur « alors oui, c’est mal, mais où dont situer le point de non-retour, permets-moi d’être optimiste (ou naïfve) et de le mettre un tout petit peu plus loin »).
Qu’est-ce que le fascisme ?
La question est complexe.
Heureusement, d’autres s’y sont penché avant moi.
Ainsi Umberto Eco liste-t-il quatorze critères pour reconnaitre ce qu’il appelle le fascisme éternel [source], c’est-à-dire l’essence du fascisme au-delà de ses applications historiques (qui ont chacune leurs spécificités) :
- Le culte de la tradition
- Le rejet de la modernité
- Le culte de l’action pour l’action, sans réflexion préalable (ni réflexion tout court)
- La croyance que les désaccords sont des trahisons (pas d’esprit critique, ou de culture scientifique où les débats servent à augmenter ses connaissances)
- La peur de la différence (et des intrus, ce qui rend le fascisme fondamentalement raciste)
- L’instrumentalisation de la frustration sociale
- L’obsession sur une menace (potentiellement internationale)
- La désignation d’un ennemi à la fois fort et faible (selon ce qui est arrangeant pour la rhétorique du moment)
- La guerre permanente (être pacifique, c’est trafiquer avec l’ennemi)
- L’élitisme (qui implique un dédain pour les faibles)
- La propension des gens à toustes vouloir être héroïques, à mourir pour leurs idées (mais à surtout tuer/violenter pour elles, en attendant)
- Le machisme
- Le populisme sélectif (qui permet de qualifier de « voix du peuple » ce qui est en fait la voix de quelques-uns)
- L’appauvrissement du langage (qui est un outil pour limiter la pensée critique et complexe, qui fait l’objet d’un point précédent)
Quand on cherche des critères pour reconnaitre objectivement le fascisme c’est cette liste qui ressort en premier.
Mais si j’écris un article, plutôt que de simplement recommander le livre d’Umberto Eco (qui date de 1995) ou les divers articles qui résument déjà sa pensée, c’est que j’ai envie de faire quelques edits (en prenant en compte d’autres listes).
Mon point de litige (enfin si on peut dire) sur la liste d’Eco, c’est que je la trouve encore trop ancrée dans un contexte historique donné (ce qui est logique : Umberto Eco écrit en tant que personne ayant grandi sous le régime de Mussolini). Or j’aimerais une liste qui puisse permettre d’observer le fascisme y compris quand il commence à se développer dans un cadre où il se fonde sur une autre idéologie que le « respect de la tradition nationale par opposition à la modernité ».
Le truc c’est : je pense que le fascisme procède d’un essentialisme identitaire (auxquels sont associés des mythes) plutôt que du nationalisme (qui n’est qu’un cas particulier, avec des mythes particulier qui s’ancrent dans une certaine idée de « la tradition ») (Et d’ailleurs les résumés qui traduisent le point 7 qui traite de l’obsession sur une menace par juste « le nationalisme » m’énervent). Ensuite, dans l’application, les grandes dictatures fascistes qui étaient à la tête de pays entiers basaient leurs identités sur la nation, leurs mythes sur la tradition et, partant de là, se retrouvaient avec « la modernité » comme pensée concurrente donc ennemie.
Aussi, si l’on place le focus sur le nationalisme, on ne peut voir le fascisme qu’au moment où il est déjà grand (à même de se revendiquer d’une nation et de ses traditions).
Or j’écoutais l’autre jour une table ronde d’historiens du nazisme qui expliquaient que dans leur discipline, le consensus scientifique était de ne plus parler de totalitarisme. Je retiens pour cela deux raisons : D’abord, parce qu’ils sont tous différents (et qu’un terme unique pour désigner à la fois le nazisme et le stalinisme, ça a tendance à effacer les différences, et donc à faire perdre en pertinence) ; Ensuite, parce que ça met la focale sur « à quel point ces régimes sont atroces » et l’enlève du point qui devrait nous intéresser au moins autant : « mais en fait comment on en est arrivé là ? C’était dans l’intérêt de qui ? »
L’idée, c’est de parler des dynamiques totalisantes, plutôt que d’avoir ce mot épouvantail de « totalitarisme » qui ne veut plus dire grand-chose : ça fait sens de comparer des processus (où on peut retrouver des structures similaires dans des contextes très différents), pas des régimes établis (parce que les contextes, eux, sont très différents).
Et au final, si on veut que le mot fascisme ait du sens, je pense qu’il faut en parler de la même façon : pour désigner des processus et pas des régimes établis.
Et oui, je sais, c’est plus facile de regarder la surface (ce mouvement est nationaliste) que les structures sous-jacentes (leur nationalisme est en fait une forme d’essentialisme et c’est les mécanismes d’essentialisation, y compris des nationalités, qui devrait nous alerter. Quand on en arrive au nationalisme : c’est déjà trop tard). Mais bear with me, promis ça en vaut la peine.
Pour la même raison, je n’aime pas trop certains résumés du travail d’Eco qui réduisent le point 5 à « racisme » alors que c’est plus largement le rejet de la différence. Rejet qui fait que, oui, de fait, les régimes fascistes finissent toujours par être racistes. Il y a indubitablement une corrélation entre fascisme et racisme, puisque les deux se nourrissent mutuellement (si bien que la montée de l’un mène à la montée de l’autre). Mais le racisme existe indépendamment du fascisme, au même titre que les traditions sur lesquels le nationalisme peut s’appuyer. Aussi je préfère penser au racisme et au fascisme comme deux entités séparées, afin de mieux mettre en lumière leurs interactions (étudier la manière dont ils se nourrissent, plutôt que de considérer cette question comme réglée d’avance puisque l’un serait inclus dans l’autre de base).
Pareil pour le sexisme : oui tous les régimes fascistes finissent par créer des obsessions autour du genre et de la sexualité des gens, c’est ce qui arrive quand on rejette la différence, mais je préfère garder le sexisme comme un système à part entière en interaction avec le fascisme, plutôt que comme une composante du fascisme. Plus encore : Eco parle plus spécifiquement de machisme, au sens de virilité exacerbée où les armes servent « d’ersatz phalliques ». Or cela réduit le fascisme à quelque chose qui ne pourrait advenir que dans un cadre patriarcal : on sort donc de la dynamique pour aller dans le cas particulier (ou certes, de fait, les régimes fascistes qui ont accédé au pouvoir étatique étaient tous patriarcaux, viriles, machistes).
Bref, je préfère dire « le fascisme est largement compatible/complice avec d’autres systèmes de domination pré-existants (tel le racisme et le sexisme, donc) » plutôt que « le fascisme est raciste/sexiste » directement.
Ces propositions de modifications ne sont pas énormes, en réalité : cela change surtout l’ordre dans lequel je présente les choses. Pour moi, la tradition (et donc un ancrage historique, incluant le racisme et le machisme) n’est pas le point de départ du fascisme, c’est sa conclusion : à mesure qu’il gagne en ampleur, le fascisme va créer sa mythologie, et puisqu’il refuse la pensée critique, il va intégrer tous les discours oppressifs qui trainent depuis des siècles (le racisme et le sexisme sont des problèmes structurels, c’est à dire omniprésent, et ce n’est certainement pas le fascisme qui va les démonter : pour ça, il faudrait réfléchir).
Ensuite, quitte à modifier la liste d’Umberto Eco, j’ai voulu l’enrichir en me penchant aussi sur d’autres manières qu’ont eu les gens d’identifier le fascisme : voir ce qui revient, ce qui pourrait être formulé différement ou complété.
En 2003, Lawrence Britt propose de lister les points communs entre cinq régimes fascistes qu’il a étudiés [source]. Il liste :
- Le nationalisme (avec des slogans, des symboles, des chansons et une omniprésence des drapeaux)
- Le mépris des Droits humains (la torture, les mises à mort sommaires, les assassinats ou les longues incarcérations sont vues comme des « nécessités »)
- L’identification d’un ennemi commun à l’encontre duquel s’unifier
- La suprématie militaire
- Le sexisme
- Le contrôle des médias (qui mène à la censure)
- L’obsession sécuritaire
- L’instrumentalisation de la religion (de ses rhétoriques et de ses terminologies)
- L’alliance avec le capitalisme/le patronat/les entreprises
- La suppression des syndicats de travaillaires
- Le mépris pour les intellectuels et les arts (qui mène à la censure également)
- L’obsession pour le Crime et la nécessité de punir
- Le népotisme et la corruption (ce sont des groupes d’amis au pouvoir)
- Le truquage des élections
Cette liste est beaucoup partagée actuellement, parce qu’elle décrit parfaitement l’état de la situation aux États-Unis avec la réélection de Trump : elle est parlante parce qu’elle est très ancrée dans le concret, la surface. Bref, pas forcément ce qui m’intéresse. Mais il y a des points intéressants qui je pense peuvent compléter la liste d’Eco.
Parmi ce que je ne garde pas : la puissance militaire et médiatique, la possibilité de séduire les milliardaires ou de truquer les élections sont des choses qui apparaissent une fois que le mouvement déjà bien puissant. Ce sont des preuves du succès du fascisme, pas critères de catégorisation du fascisme à son stade d’émergence. Ceci dit, cela reste des éléments intintéressants que je garde dans un coin de ma tête. Quant aux discours religieux, je crois qu’il s’agit d’un cas particulier de ferveur idéologique, mais que d’autres idéologies sont possibles pour nourrir la mythologie autour de laquelle un fascisme va se cristalliser (Bref : c’est la même remarque que celle que j’avais pour le nationalisme ou le machisme).
Parmi ce que je voudrais garder : je trouve que « obsession sécuritaire » est une meilleure formulation que « obsession sur une menace » (qui sont les critères qui, coïncidence, sont tous les deux en septième position de leurs listes respectives). Et, surtout, je trouve utile de rajouter le point 12, sur l’obsession des crimes et la nécessité de punir : certes, l’obsession sur les crimes en particulier pourrait sembler n’être qu’un cas particulier de l’obsession sécuritaire/sur des menaces, mais la focale sur la punition me semble importante. Elle permet d’insister sur la violence du fascisme : une violence que l’on justifie, y compris quand elle piétine les droits de l’homme (point numéro 2).
Pour compléter ma réflexion, je me suis aussi penché sur les différentes échelles par lesquelles on a tenté de mesurer les personnalités autoritaires. Ce sont des outils qui servent à reconnaitre des modes de pensée chez des gens en particulier plutôt que les dynamiques globales d’un mouvement auquel les gens en question appartiennent. Et c’est plus délicat car il ne s’agit pas d’essentialiser les gens en les accusant d’être « naturellement » sensibles au fascisme. Mais je trouve intéressant de croiser les modes d’analyses et de voir ce que la psychologie sociale a à apporter au débat.
Dans les années 1950, Adorno mesure avec son échelle F la « personnalité fasciste » selon différents critères [le résumé de l’étude par Hacking social] :
- Le conventionnalisme
- La soumission à l’autorité
- L’agressivité autoritaire (c’est-à-dire la volonté de punir ceusses qui contreviennent aux conventions)
- L’anti-introspection (c’est-à-dire un rejet de tout ce qui à trait à la créativité et à l’introspection)
- La croyance en des déterminants mystiques de l’individu et la pensée en catégorie (donc l’essentialisation)
- Le fait de vouloir absolument être « fort »
- Le cynisme (comme penser que la nature humaine est intrinsèquement mauvaise)
- Le fait de penser que le monde est violent (c’est le point où on sent l’influence de la psychanalyse parce que dans la manière dont Adorno décrit ça, c’est présenté comme « ce sont ses propres pulsions agressives que la personne projette sur le monde »)
- L’obsession sur les questions sexuelles (les crimes de cet ordre sont considérés comme plus graves que les autres)
Plus tard, Altemeyer a proposé sa propre échelle RWA, qui ne mesure que les trois premiers points seulement, et qui corrige quelques biais de l’étude d’Adorno (notamment en parlant d’ « attitude autoritaire » plutôt que de « personnalité », pour ne pas essentialiser. D’un point de vu expérimental, il reformule les questions posées aux sujets testés : faire en sorte qu’elles n’aillent pas toutes dans le même sens, pour éviter que les gens répondent de manière automatique. Et il supprime les conclusions freudiennes de l’étude d’Adorno qui concluait que la pensée autoritaire naissait dans les familles) [le livre les autoritaires téléchargeable ici en anglais][Le résumé par Hacking social de toutes ces études sur les attitudes autoritaires]
Et en fait c’est intéressant parce que ça précise des points qui ne sont pas vraiment dans la liste d’Eco : Umberto parle d’élitisme, et donc de hiérarchie, et ça me semble intéressant de se rappeler que cela s’accompagne dans les faits d’une soumission à l’autorité, autorité au nom de laquelle les gens vont faire preuve de violence.
Aussi, je crois qu’à choisir je préfère parler de conventionnalisme que de traditionalisme : parce qu’une convention peut être nouvelle (même si dans les faits il y a une connotation « ancienne » sur les conventions, ça ouvre la possibilité d’étendre le fascisme à des cadres régis par d’autres normes que celle du patriarcat blanc dont on a l’habitude).
Quant aux autres éléments, je les trouve cohérents avec des choses déjà dites : la croyance dans des déterminants mystiques de l’individu, la pensée par catégorisation et les idées sur la « nature humaine » qui serait « foncièrement » mauvaise relève de l’essentialisation. L’anti-introspection peut être rattachée au dédain pour ce qui est intellectuel, artistique, ou qui relève de la pensée critique. Le fait de vouloir à tout prix être fort (en opposition aux faibles) est une autre manière de présenter la guerre permanente contre un ennemi tantôt trop fort tantôt trop faible, l’héroïsme et le machisme dont parle Eco. Les pensées négatives sur le monde renvoient à l’obsession sécuritaire, aux bouc-émissaires, aux menaces.
Par ailleurs, je trouve intéressant qu’il y ait une insistance particulière sur l’idée que les crimes d’ordre sexuel soient considérés comme plus graves que les autres.
C’est donc sur cette base que je propose cette liste pour reconnaitre le fascisme (j’ai changé l’ordre des items, pour aboutir à une progression que je trouve logique après mes reformulations. Ça me fait rire parce que j’arrive à quatorze aussi) :
- L’essentialisation identitaire (qui permet de penser à soi-même et aux autres comme appartenant à des groupes conçus comme strictement séparés)
- L’adhésion absolue à des conventions / normes / mythes (qui s’observe notamment via la prolifération de symboles permettant de revendiquer son appartenance au groupe)
- L’impossibilité d’être en désaccord (pas d’esprit critique, pas de culture scientifique, pas moyen d’utiliser du débat sain pour produire du savoir)
- Le rejet de toute forme de différence, de tout ce qui contrevient à la norme. Le rejet également des pratiques artistiques (puisque l’art permet de questionner la norme)
- La culture de l’action irréfléchie, de la réaction permanente (cet état d’esprit anti-intellectuel peut passer par un apauvrissement du langage, par l’utilisation de slogans prêts à l’emploi qui remplacent la pensée)
- L’instrumentalisation de la frustration sociale (frustration qui peut exister pour des raisons tout à fait légitimes de base, la plus classique étant celle liée à une précarité économique)
- La création d’une hiérarchie, avec des leaders au sommet et un dédain pour les faibles
- La propension des gens à toustes vouloir être héroïques, à mourir pour leurs idées (mais à surtout tuer/violenter pour elles, en attendant)
- Le populisme sélectif (qui permet de qualifier de « voix du peuple » ce qui est en fait la voix de quelques-uns)
- La désignation d’un ennemi dont l’existence permet la cohésion du groupe (puisque ce n’est pas rationnel, l’ennemi pourra selon ce qui est arrangeant être présenté simultanément comme fort, pour menacer, et faible, pour flatter le sentiment de supériorité du groupe)
- La guerre permanente
- L’obsession sécuritaire (qui passe par l’instrumentalisation d’une posture victimaire face à l’ennemi ou à la menace identifiée)
- L’obsession sur la nécessité de punir (en particulier les crimes sexuels qui peuvent être jugés comme plus graves que les autres), quitte à causer soi-même plus de tort que celui qu’on est sensé « réparer » (et se torcher avec les droits de l’homme)
- Et à terme : la complicité avec les systèmes de domination pré-existants (comme le racisme, le sexisme, le validisme, etc), l’appropriation des pouvoirs en place (industriello-économique, religieux, médiatiques, électoraux, etc) et l’absorption de/par d’autres fascismes
C’est une liste dont la progression va dans le sens : création d’un groupe identitaire essentialisant ne tolérant aucun écart à sa propre norme, ni aucune pensée critique, puis, grâce à l’instrumentalisation des frustrations des individus, la justification de violences diverses présentées comme nécessaires pour assurer la sécurité du groupe face à une menace.
C’est une liste qui, en un sens, est moins percutante que celle d’Umberto Eco ou de Lawrence Britt : il faut la traduire dans chaque contexte. C’est sa faiblesse, mais c’est aussi sa force : cela demande une étape de réflexion supplémentaire chaque fois qu’on l’utilise, mais elle est traduisible dans différents contextes.
Concrètement : avec Eco et Britt, il n’y a aucun problème pour identifier comme fascistes des partis qui le sont de manière classique et manifeste (comme ceux de Le Pen ou de Zemmour). Ils sont explicitement nationalistes et xénophobes, obsédés sur les traditions, dans le rejet des avancées sociales (cf les paniques morales sur la transphobie présentée comme une tare de la modernité : « c’est pas naturel »).
Mais c’est bien plus difficile d’expliquer pourquoi le Macronisme est aussi un fascisme : le gouvernement est violent, anti-démocratique, complice de l’extrême droite qui s’assume, mais il n’est pas particulièrement obsédé par les traditions (il prône au contraire une forme d’innovation technique et entrepreneuriale : la « FrenchTech », la « start-up nation ») et se garde d’être trop ouvertement nationaliste. Or pour Eco comme pour Britt : c’est ça la base, le fondement dont tout le reste doit logiquement découler !
D’où l’intérêt de repenser le fascisme en termes de structure de pensée : au lieu de se dire « est-ce traditionaliste ou nationaliste, ce qui serait un signe de fascisme ? », on se demande « quelle vision du monde ce groupe défend ? Et est-ce qu’il le défend de manière fasciste ? »
Or ce que défend le macronisme, ce n’est pas le nationalisme (du moins pas en première instance) : c’est l’entrepreunariat (avec une idéologie capitaliste et ultra-libérale).
- La séparation stricte se fait entre « ceux qui réussissent, et ceux qui ne sont rien », avec une essentialisation de cette condition : la réussite n’est pas due à la chance mais bien à une « nature » intrinsèque de winner (quand les autres sont fondamentalement des faignasses et des bonns à rien)
- Il y a une adhésion absolue au mythe de la méritocratie
- C’est pas possible d’être en désaccord, les débats sont stériles, 49.3
- C’est pas possible d’envisager un autre mode de vie, on commence à voir la suppression des subventions culturelles
- Y’a une célébration de l’action : ceux qui réussissent, par définition, c’est ceux qui font. Ou ceux qui prétendent faire. Car les mots sont vidés de leurs substances, et la langue de bois est la norme. (Que signifie de déclarer l’égalité homme/femme comme cause du quinquennat si c’est pour nommer et renommer Darmanin à un poste de ministre ?)
- Y’a une instrumentalisation de la frustration sociale liée à, paradoxalement, la montée du fascisme : Macron est arrivé et s’est maintenu au pouvoir grâce à la rhétorique du « barrage républicain »
- La création d’une hiérarchie, avec des leaders au sommet et le dédain pour les faibles est manifeste
- Sous le macronisme, on doit toustes vouloir être le héros capitaliste, celui qui parvient à tirer bénéfice du système (quitte à se tuer à la tâche, cf l’augmentation du nombre de burnout)
- Je suppose que le populisme sélectif se voit dans le fait que Macron prétende toujours agir pour le peuple quand bien même il place au gouvernement des gens qui littéralement personne n’approuve (mais c’est ces potes, cf le point sur le népotisme que Britt mettait dans sa liste)
- L’ennemi désigné, c’est le chômeur et l’allocataire de prestations sociales : qui fraude et donc vole l’argent dument gagné par les braves travailleurs (c’est une menace à la fois forte : il faut rendre cette partie de la population responsable de tout. Et à la fois faible : factuellement on parle de personnes qui sont juste en situation de précarité)
- La guerre permanente se voit dans le déploiement d’un « état d’urgence » qui n’a jamais vraiment eu de fin, ou par des déclarations de types « nous sommes en guerre » pour parler d’une pandémie (aka une situation où y’avait pas d’ennemi, un virus c’est un virus)
- L’obsession sécuritaire transparait encore une fois dans les dispositifs d’état d’urgence, et aussi dans l’augmentation du buget pour la police ou le rapprochement avec le Rassemblement National
- Il y a une obsession sur la punition, quitte à se torcher avec les droits de l’homme (déchéance de nationalité, gel des prestations sociales, etc)
- Et à terme : la complicité avec les systèmes de domination pré-existants (comme le racisme, le sexisme, le validisme, etc) se fait sentir. La cohabitation avec les pouvoirs en place se fait sans heurts (en particulier le pouvoir des entreprises, et celui des médias rachetés par lesdites entreprises). Et les collaborations de plus en plus fréquentes avec le Rassemblement National tendent à illustrer la convergence des fascismes.
L’intérêt de pouvoir faire ça, ce n’est pas, comme certains le craignent, d’affirmer que tout serait équivalent, en mode « après tout, pourquoi combattre le fascisme de Zemmour si Macron est déjà fasciste ? »
Il y a des gradations dans le degré de violence (on s’en sort quand même mieux face à un régime qui n’assume pas encore frontalement sa haine, que face à un autre qui n’a plus aucune retenue), il y en a aussi dans le pouvoir de nuisance (c’est pas pareil un régime fasciste à la tête d’un pays qui peut commander aux armées, et un groupe fasciste qui n’a pas trop de moyens).
Idéologiquement, Reconquête est pire que le Rassemblement National, qui est pire que les Républicains, qui est pire que Renaissance (Et je sais pas pourquoi ces quatre partis ont tous décidés de commencer par un R) : leur violence est plus explicite, leurs propositions vont plus loin dans la haine, leur racisme et leur sexisme est plus décomplexé, etc.
Mais la dynamique est la même. Et cette dynamique : c’est cela qu’on appelle « le fascisme » et qu’on devrait combattre bien avant qu’il dépasse un « seuil de non retour » qui ne fait que reculer à mesure qu’on s’habitue.
Pour prendre une comparaison : une collision « voiture-piéton », c’est « un véhicule motorisé sur roues qui fonce dans quelqu’un », peu importe si le véhicule en question est une voiturette de golf bridée à 25km/h, une voiture classique qui pèse au moins le double, ou un modèle tout droit sorti de mad max fury road avec un bouclier de piquants sur le parechoc. Dans tous les cas, l’énergie cinétique, brutalement interrompue par le choc, va se dissiper dans le corps de la victime et causer des blessures (potentiellement mortelles). On a des moyens de décrire l’intensité de l’impact, et la gravité des dommages qu’il engendre. On sait, il n’y a pas besoin de tergiverser mille ans, qu’à tout prendre on a de meilleures chances de survie en étant courséés par un kéké dans son caddie de golf que par Immortan Joe dans sa machine de guerre. Toutes les collisions ne sont pas pareilles. Pour autant c’est la même dynamique, qui porte le même nom, et elle est violente. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire « non mais c’est pas vraiiiiiment une collision, y’avait pas de barbelées fixées à l’avant du véhicule. C’est un peu dangereux de parler de collision chaque fois qu’un piéton se fait faucher, alors que seules des petites voitures sont impliquées. On risque d’arrêter d’être choquéés quand les véhicules sont sur-équipés pour faire mal ».
Ce qui nous désensibilise, ce n’est pas d’appeler un chat un chat : c’est quand la violence devient quotidienne, qu’on ne prend même pas la peine de la nommer correctement, et qu’on s’y habitue insidieusement.
Bien sûr, comme les mouvements fascistes s’allient à terme avec tous les systèmes de dominations existant, un mouvement fasciste bien installé finira nécessairement par être nationaliste, raciste, sexiste, etc.
Mais cela me semble vraiment important d’apprendre à l’identifier AVANT qu’on en arrive là : justement pour éviter d’en arriver là.
Pour le reste, les mots nationalisme, racisme ou sexiste existent déjà pour décrire les spécificités et les ancrages des différents groupes fascistes que l’on souhaite étudier.
Mais l’intérêt de repenser la manière dont on définit le fascisme (avec le nationalisme, le racisme et le sexisme comme outils et horizon plutôt que comme point de départ : une finalité si on veut, mais dans le sens « factuellement c’est à ça que ça mène » pas « c’est l’objectif affiché ») ne s’arrête pas là.
Je suis convaincue, je l’ai dit, que les fascismes se nourrissent mutuellement. Et ce, y compris quand ils sont en opposition. La première raison à cela est que le fascisme a besoin d’un ennemi pour fonctionner, c’est dans sa définition : or en avoir un qui est aussi fasciste et violent, cela rend le discours plus crédible, je suppose. (Pour rester sur la politique française : cf comment le Macronisme continue de se maintenir avec l’argument du « barrage républicain » contre l’extrême droite, et comment réciproquement le Rassemblement Nationnal et Reconquête utilisent les frustrations liées au gouvernement pour se présenter comme une alternative)
La deuxième c’est que le fascisme, puisqu’il est anhilateur de la pensée critique, va tendre à incorporer les système oppressif pré-existant : les mouvements fascistes finissent tous par devenir racistes, et sexistes, et validistes, et classiste, et cetera. Et ce faisant, des groupes fascistes qui étaient à l’origines distincts vont trouver des terrains de lutes en communs, et lentement converger. (Toujours dans la politique française : cf les alliances de plus en plus fréquentes entre Renaissance et le RN, qui votent ensemble les mêmes lois liberticides)
Et à cela, il faut rajouter un troisième élément : quand le fascisme monte, il colonise aussi nos esprits.
C’est-à-dire que, même quand on s’oppose aux puissances fascistes (celles clairement identifiées, ouvertement nationalistes, xénophobes, machistes et violentes), on peut se retrouver à penser malgré tout comme elles : avec d’autres idées, mais la même manière fascisante de les défendre.
Pour prendre un exemple que je connais hélas trop bien : il y a des personnes qui se revendiquent de la lutte queer-féministe, qui ont très bien compris qu’en tant que femme ou personne LGBT rejoindre des mouvements nationalistes homophobes, transphobes et sexistes n’était pas dans leur intérêt, mais qui pourtant cochent absolument toutes les cases de ma liste.
- Le néo-essentialisme queer consiste à considérer le groupe des « personnes assignées femmes à la naissance » comme moralement supérieures (par défaut, puisque c’est le genre à la naissance qui compte) (cf article sur les TERQ)
- L’un des mythes principaux est celui selon lequel « les concernés ont toujours raison » (concerné étant ici un synonyme de victime du système, donc des femmes et autres queers afab qui sont par définition victimes du patriarcat). Les symboles de ralliement ne manquent pas : plus que les drapeaux, je pense notamment à la prolifération dans les mouvements queer-féministes d’une imagerie du clitoris et de la vulve.
- Partant de là, il n’est plus possible d’être en désaccord : quiconque remet en question la misandrie, ou critique l’idée simpliste que « tout ce qui n’est pas un oui franc et massif est un non », ou veut mettre en lumière les violences perpétrées par des femmes/au nom du féminisme… sera écartéé du groupe.
- Le rejet de tout ce qui sort du groupe, c’est le rejet de tout ce qui est associé (à tort ou à raison) au masculin. Cela empiète sur le terrain artistique : les œuvres vont facilement être qualifiées de « problématiques » et boycottées par le groupe (pour des raisons qui peuvent être parfaitement triviales, comme « l’autrice de ce livre n’est pas aimable quand trois cents personnes viennent en même temps dans ses messages privés pour lui adresser la même critique sur ce qualificatif pas terrible qu’elle a utilisé p.256 pour décrire son héroïne »)
- Pour chaque situation, c’est la réaction immédiate qui est valorisée. C’est particulièrement criant dans les cas où des violences sexuelles sont dénoncées : au lieu de rechercher à comprendre ce qui s’est passé, à s’assurer qu’on a bien identifié ce qui était arrivé aux victimes et trouver comment les aider, à mettre en place des choses pour que la situation ne se reproduise pas… il va y avoir un rejet par le groupe de la personne accusée, ce quand bien même personne ne sait dire de quoi la personne est accusée exactement (sachant que si la personne ne fait pas partie du groupe, ce sera sans effet, à part augmenter la frustration du groupe. Et si la personne en fait partie, ça sera d’une violence insoutenable : pour le dire clairement, c’est ni plus ni moins du harcèlement). L’absence de réflexion est permise par des slogans qui servent de substitut, de type « On croit les victimes ici ! ». Globalement, beaucoup de concepts vont être vidés de leur substance (comme le mot « intersectionnel » qui tend à devenir un synonyme creux de « gentille fille ») (voir article de Lou sur le fait que les queers ne veulent pas vraiment se défendre)
- Ainsi les frustrations liées aux violences patriarcales et sexuelles finissent par être instrumentalisées par le groupe. Comme dit : pour disqualifier une personne, il suffit de trouver comment la rattacher au masculin, ou formuler des accusations ultra-vagues de type « cette personne est problématique, je ne vais pas dire pourquoi, mais je te laisse présumer le pire ». C’est un outil de pouvoir. Et comme tous les outils de pouvoir qui ne sont pas (et refusent d’être) questionnés : il est abusé
- Une hiérarchie se met en place qui, puisque les mouvements féministes et queers dans leur ensemble n’ont pas de moyen, est surtout basé sur la popularité (qui est à double tranchant)
- Tout le monde dans ce type de groupe a envie de prouver à quel point iel est un « bonn militantt » (même si ça se traduit par « participer à des dogpiles des personnes identifiées comme ennemies du groupe », c’est-à-dire prendre part à des campagnes de harcèlement, ce qui n’a rien de « bon »)
- Le groupe prétendra défendre l’intérêt de toutes les femmes et de toutes les personnes queer, quand il défendra celui de certaines femmes, et de certaines personnes queer (celles qui correspondent à l’image d’Épinal de la femme/personne afab)
- L’ennemi principal, c’est l’hommeTM en tant que personnification du patriarcat, qui est à la fois puissant (en tant que représentant de la domination masculine) et faible (il est de bon ton de rappeler que les hommes sont fragiles, puisqu’ils se sentent attaqués par l’idée du féminisme). Les groupes queer-féministe à tendance fasciste revendiquent très fort leur misandrie.
- La guerre est permanente (à leur défense : ce n’est pas ces groupes qui l’ont commencée)
- Il y a une obsession sur la sécurité, sur les espaces « safe »
- Il y a une obsession sur la nécessité de punir, et les crimes sexuels sont considérés comme plus graves que tous les autres
- Et à terme : puisque ces groupes ne pensent pas, ils réintègrent le racisme, le sexisme et le validisme dans leur fonctionnement. C’est ainsi qu’ils se trouvent des points communs avec des mouvements fascistes plus traditionnels : c’est exactement comme ça que celles qui se pensaient jadis comme des « féministes radicales » se retrouvent sous l’étiquette « femelistes » à collaborer avec les dirigeants d’extrême droite.
Le problème, quand on fait ça, c’est qu’on ne propose plus d’alternative au fascisme, on lui donne juste une autre saveur, pailletée.
Or concrètement, on n’est pas anti-fasciste juste parce qu’on s’est laissé dire que c’était bien de l’être. On est anti-fasciste parce que le fascisme est violent. Parce qu’il brise les gens, qu’il les traumatise, qu’il les prive de leurs capacités d’agir.
Ce n’est pas pour être méchantt avec les mouvements queer-féministes que je pointe du doigt ceux qui pensent comme des fachos : c’est parce que j’ai fait les frais de leurs violences. Ils n’avaient ni armée, ni finance, ni nombre. Rien que des violences psychologiques. Et pourtant, des années plus tard, je n’en suis pas remise. J’ai toujours peur de me rapprocher des groupes militants.
Et ça, ce n’est que le meilleur scénario : celui où, toute inutile que j’ai été rendu, je ne me suis pas retournée contre mon camp.
La vérité c’est que pour beaucoup de gens, leurs convictions progressistes ne sont pas si solides : iels ne sont pas particulièrement sensibles aux idées de l’extrême droite de base, certes, mais s’il leur faut choisir entre deux normativités toute aussi dogmatiques dans leur application, iels vont pencher vers celle qui leur est la plus familière : c’est-à-dire se jeter dans les bras de l’extrême droite et de son traditionalisme plutôt que d’apprendre la normativité alternative des mouvements queer-féministes (quitte à vivre sous la coupole d’un groupe fasciste, autant se dispenser de l’apprentissage de ses codes).
Bien sûr, il pourrait être tentant d’écarter toutes ces préoccupations : se dire « ok, c’est pas parfait, mais l’ennemi en face est bien réel, et faire preuve de violence quand on se bat contre lui est légitime. On aura le temps de faire notre auto-critique quand on aura dépassé la crise, et que l’extrême-droite ne sera plus aux portes du pouvoir, voir au pouvoir tout court ».
Mais je n’y crois pas.
Même si on part du principe qu’on ne nourrit pas particulièrement le fascisme d’extrême-droite (qui certes n’a pas besoin d’arguments pour nous antagoniser, il leur suffit qu’on *existe*), qu’on s’accroche suffisamment à dénoncer les oppressions systémiques pour ne pas fusionner avec les idées racistes et sexistes de nos adversaires politiques (on pourrait se dire qu’être féministe, ou décolonial, si on l’est avec suffisamment de conviction, c’est assez), et qu’on juge négligeable les pertes liées à nos propres violences (pas merci, mais écoutez soit, of the sake of argument)… je ne crois pas un instant qu’on saura changer notre mode de pensée le jour où l’on triomphera.
L’histoire est remplie de mouvements révolutionnaires, émancipateurs, pour la liberté qui se changent en dictature dès l’instant où il triomphe.
C’est tout le paradoxe du nationalisme : il a du sens tant que les gens qui s’en réclament n’ont justement pas de nation / sont sous la coupe d’une autre puissance coloniale qui les exploite et les violente et dont il s’agit de se libérer. Ça a du sens tant que c’est un rêve. Mais dès lors que l’indépendance est acquise, que le pays est formé, le nationalisme devient une plaie. Un cas d’école qui est peut-être le plus dramatique dans l’actualité, c’est le gouvernement d’Israël. Cela avait du sens, face aux sommets d’antisémitismes déployés pendant la seconde guerre mondiale, que les juifs rêvent d’un pays où iels ne seraient pas violentés pour leurs identités. Mais à présent ce pays existe, il est ultra-nationaliste, et mène des politiques génocidaires à l’encontre des populations palestiniennes qui peuplaient la région où le projet sioniste s’est concrétisé. Au final, cette situation permet de nourrir l’antisémitisme (de gens qui confondent les exactions commises par le régime fasciste Israélien avec quelque chose qui serait imputable à tous les juifs), révèle la convergence des fascismes (voir les alliances entre Netanyahou et Trump, ce y compris après que la cérémonie d’investiture de ce dernier ait été marquée par un double salut nazi de Musk : non content de laisser passer ce geste, pourtant profondément, indubitablement antisémite, Netayahou l’a défendu) et tend à prouver qu’on n’arrête pas de penser comme des fascistes quand on en a pris l’habitude.
Si le queer-féminisme triomphe de l’extrême-droite, mais qu’il triomphe sous sa forme fasciste, je vous garantis que ça ne sera pas beau à voir.
Rien n’a l’air grave, quand on n’a pas de pouvoir. On peut toujours se dire « la pire violence, ce n’est pas moi qui l’exerce, je n’en ai pas les moyens ». Mais juré, vous ne voulez pas voir un groupe marginalisé (même si c’est le vôtre) qui s’est laissé convaincre que ce n’était « pas grave » d’avoir un fonctionnement fasciste arriver au pouvoir. Parce que ce sera du fascisme.
Non, on a bien meilleur ton de combattre le fascisme y compris dans nos propres têtes, quand il est loin d’avoir le pouvoir, au moment où il est encore arrêtable.
Comme dit Audre Lorde : « Les outils du maître ne détruirons jamais la maison du maître ».Et par ailleurs, ma liste ne sert pas qu’à mieux critiquer la pensée fasciste. Elle permet aussi, quand on la lit à l’envers, de cerner à quoi ressemble une vraie alternative au fascisme (qui ne soit pas juste anti-) :
- La place laissée au changement, qui existe au moins en tant que possibilité : on ne sait pas forcément s’il va se faire, mais il pourrait. Les gens et les groupes ne sont pas intrinsèquement une chose ou une autre, ils le sont à un moment donné, mais ce n’est pas gravé dans le marbre.
- L’acceptation de la complexité du réel, qui est fait de réalités contradictoires et paradoxales. Pas besoin d’un narratif unique auquel il faudrait adhérer
- La compréhension du débat comme moyen de produire du savoir. Le développement de l’esprit critique et de la culture scientifique.
- Le respect de la pluralité. Chaque personne est différente et multifacettes. L’art est un moyen d’expression de cette pluralité, et est reconnue en tant que tel comme lieu d’expérimentations et d’erreurs.
- Le temps dédié à la réflexion, pour trouver des solutions adaptées aux spécificités de chaque situation, pensées sur le long terme.
- La volonté d’apaiser les tensions. Cela passe par la reconnaissance des frustrations, qu’il ne s’agit pas de nier : la première étape, c’est toujours l’écoute.
- L’esprit collectif : On encourage les gens à apprendre et à grandir, puisque leurs croissances individuelles sont vues comme un atout pour le groupe dans son ensemble, et pas comme une menace compétitive. Ce processus d’apprentissage est entendu comme n’ayant pas de fin, si bien qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les gens en fonction du stade où iels en sont.
- La valorisation d’activités indépendamment de leur utilité présumée. Les gens sont encouragéés à explorer ce qu’iels aiment / ce qui les intéresse
- L’humilité au sens de : reconnaissance qu’on ne peut pas savoir ce qui est bon « pour tout le monde ». On peut seulement faire de notre mieux en gardant à l’esprit qu’il y aura toujours des réajustements à faire parce qu’on n’aura pas pensé à tel ou tel facteur.
- La recherche d’une cohésion qui ne soit pas uniquement basée sur la haine d’un ennemi commun
- Le temps laissé pour le repos, pour l’amour, pour le rire
- L’acceptation de l’imperfection, du fait qu’il n’y aura jamais d’espace parfaitement sécurisé.
- Le focus sur la réparation, sur la guérison, sur le fait de prendre soin. Sur la prévention également.
- Et toujours garder à l’esprit : la lutte contre les systèmes d’oppression (comme le racisme, le sexisme, le validisme, etc), la remise en question des pouvoirs en place (industriello-économique, religieux, médiatiques, électoraux, etc), et le rejet des alliances avec des groupes fascistes.
Bref : il n’y a rien ici de fondamentalement différent des idées que j’ai déjà exprimées. On veut plus d’alliéés qui pertinent, et moins de pots de fleurs qui se contentent de motamoter.
Mais s’arrêter sur la définition du fascisme est une manière d’entrer dans le concret, de se doter d’un nouvel outil de pensée, dont nous avons bien besoin : Envisager le fascisme en tant que dynamique/mode de pensée permet d’articuler correctement ses interactions avec les systèmes de dominations, et expliquer concrètement de quelle manière toutes ces dynamiques jouent en faveur de l’extrême droite (chose que l’on ne peut pas faire si on pense le fascisme uniquement comme synonyme de nationalisme conservateur).
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En lisant tes 14 points, j’ai été frappé par le fait qu’ils s’appliqueraient tout aussi bien à n’importe quel mouvement sectaire. (J’aime bien aussi l’idée de les retourner pour en faire un truc positif.)
Sinon pour l’analyse du macronisme, le concept d’extrême-centre mis en avant par l’historien Pierre Serna me semble très pertinent.
Hum c’est vrai… Je suppose que la différence, c’est que les dynamiques d’une secte se passent plutôt en interne, vis-à-vis des gens qui ont été recrutéés. Alors que la pensée fasciste a une prétention de vouloir s’appliquer en dehors du groupe de gens qui adhèrent à son idéologie : les groupuscules néonazi ne veulent pas punir leurs propres membres, mais les gens qui n’appartiennent justement pas à leur groupe.
Du coup, je suppose que même si c’est présent dans les sectes, y’a d’autres choses qui rentrent en jeu dans la cohésion du groupe sectaire que la désignation d’un ennemi (ça peut être la promesse du paradis après l’apocalypse où ce genre de choses).
Mais clairement c’est le même genre de violences basées sur l’annihilation de la pensée critique, et ça peut être tout à fait pertinent d’envisager un groupe donné à la fois sous le prisme de la façon de pensée fasciste ou de la dynamique sectaire, puisque l’étude du fascisme d’une part et des sectes de l’autre ont permis d’élaborer des outils subtilement différents : dans les sectes y’a la notion d’excommunication, aka le bannissement du groupe, qui est moins présent quand on pense au fascisme. On peut certes tomber en disgrâce au sein d’un groupe fasciste, parce que les groupes fascistes sont violents et que personne n’est vraiment safe à l’intérieur, mais c’est un peu caché par l’essentialisation identitaire : il faut maintenir l’illusion que les gens qui font partie du groupe (vs ceux qui n’en font pas partie) en font partie (resp. ou pas) de manière intrinsèque.
Bref : s’il faut trouver des différences, je dirai que dans le cas du fascisme la violence est primairement dirigée vers l’extérieur (et les violences internes sont des sortes de dégâts collatéraux), et dans celui des sectes elle est primairement intra-communautaire (avec une hostilité envers l’extérieur qui est collatérale, parce qu’elle participe à ce que les membres de la sectes aient peur de partir).