il y a un fil juste un fil qui va dedans dehors dedans dehors que je tire et qui se noue autour de mes doigts qui me suture et qui me déchire un fil comme l’itinéraire d’une larme qui coule qui s’extirpe un fil que je tire et que je veux tirer qui ne vient jamais assez vite et qui vient pourtant tout d’un coup qui s’emmêle en paquets en grumeaux terribles en nœuds que je ne sais pas défaire et qui me blessent quand j’essaie de les défaire qui m’étouffent quand je ne les touche pas qui m’enserrent au point que je ne peux plus bouger ni les bras ni les jambes ni rien au point que ma respiration est difficile que je me sens ligoté au point que je ne sais plus le fil s’il est en moi ou en dehors de moi au point que je ne sais plus le fil s’il me tue ou s’il me maintient au point où j’en viens à croire que l’enlacement est amour au point où je me blottis dans mes propres chaines au point où je me dis qu’après tout le fil c’est moi qu’il y a de l’amour en moi beaucoup d’amour et alors je me dis si le fil c’est moi si je suis le fil si je suis le fils alors autour de quoi est-ce que je me noue et alors je trouve mon père
>>> MOI JE T’AIME <<<
mon père c’est compliqué nous fûmes trop distants trop proches je ne sais pas je ne sais plus dire mon père était-ce de l’amour
>>> JE VEUX LE MEILLEUR POUR TOI <<<
ou bien autre chose il faut dire que l’amour aussi c’est compliqué j’ai des vertiges quand j’y pense parce que je sais que tout est là disons le plus gros disons ce que je veux extraire ce que je n’arrive pas à dire pas encore pas tout à fait les nœuds sont trop gros dans la pelote j’aurais besoin d’un peigne ou bien d’un râteau ou juste de mes doigts j’aime planter mes deux mains dans la terre alors je me sens vivre alors je me sens
>>> MAIS BOUGE TOI UN PEU ! VA VOIR DU MONDE ! TU PEUX PAS RESTER TOUTE LA JOURNEE LÀ À NE RIEN FAIRE ! <<<
je crois parfois que le sol me nourrit mes extrémités comme des racines mes yeux comme des fontaines je m’irrigue de ma propre sève je crois que je touche quelque chose de vrai comme si j’étais libre enfin ou que j’entrevoyais la possibilité de l’être
>>> JE N’Y CROIS PAS À TES LARMES <<<
mais mon père n’aime pas que je pleure mon père n’a jamais aimé que je pleure et je me demande alors si mon père m’a jamais aimé les bébés pleurent quand ils viennent au monde j’ai dû pleurer moi aussi je l’imagine avoir un mouvement de recul lui le grand scientifique devant cette marmaille bruyante dont il allait à présent devoir s’occuper
>>> ELLES NE VEULENT RIEN DIRE TES LARMES. TU PLEURES POUR QUOI ? TU VEUX ME DIRE ? TU PLEURES POUR TOI. TU PLEURES PAR EGOÏSME. PARCE QUE TU TE LAMENTES SUR TON PROPRE SORT. MAIS IL N’Y A PAS DE COMPASSION DANS TON CHAGRIN. JAMAIS. COMME IL N’Y A PAS DE COMPASSION EN TOI. TU N’ES QU’UN EGO DEVORANT. TU N’AS PAS DE GRATITUDE. TU N’AS PAS D’AMOUR. TU PLEURES QUAND JE TE FAIS DES REPROCHES MAIS TU NE CHANGES JAMAIS. <<<
j’étais un enfant timide j’observais en silence j’attendais que l’on me tende la main j’attendais en vain si peu étaient disposés à faire un pas vers moi j’étais un enfant bizarre chétif presque maladif la peau rendue verte par la chlorophylle à force de me rouler dans l’herbe ou à force de rien du tout j’étais un enfant je ne sais pas quel genre d’enfant j’étais j’ai si vite été altéré on a si vite tenté de me sauver de moi-même de me rendre mieux capable de respirer l’air trop pollué de notre siècle
>>> CA SERT À RIEN DE PLEURER SI TU NE CHANGES PAS. ÇA SERT À RIEN D’AVOIR L’AIR DÉSOLÉ SI TU N’AS AUCUNE INTENSION D’ÉVITER QUE LA SITUATION SE REPRODUISE. <<<
je manquais d’ancrage au sens propre comme au figuré je n’avais pas les pieds sur terre mes ambitions étaient absurdes je me rêvais arbre pour le reste j’étais si frêle il semblait qu’un rien qu’un vent pourrait suffirait à me décoller que j’avais besoin d’être lesté d’une manière ou d’une autre je voulais des racines mon père n’y croyait pas mon père s’inquiétait pour moi mon père ne voulait pas que je finisse seul mon père était un scientifique c’était son métier de résoudre les problèmes il entendait bien résoudre le mien mais pas de la manière dont je le suggérais
>>> PRENDS-TOI EN MAIN <<<
je pouvais être plus fort je pouvais être plus grand je pouvais être plus beau je pouvais être plus tout mon corps n’était qu’une pâte qu’il suffisait de modeler je pouvais devenir un homme robuste je pouvais apprendre à résister mieux que n’importe qui
>>> BATS-TOI <<<
je pouvais apprendre à me battre j’ai vu mes épaules gonfler du jour au lendemain j’ai vu ma croissance s’accélérer j’ai vu mes muscles s’épaissir j’ai vu mon corps être façonné par d’autres mains que les miennes j’ai eu les meilleurs chirurgiens mon père était prêt à tout payer mon père était prêt à superviser lui-même mon entrainement physique mon père était prêt à tout pour moi j’essayais d’être reconnaissant je me sentais gour je tombais beaucoup
>>> TU SERAS FORT, MON FILS. REGARDE TOUT LE POTENTIEL QU’IL Y A EN TOI ! CE SERAIT BÊTE DE NE PAS L’EXPLOITER. CONTINUE. DONNE TOUT ! BOMBE LE TORSE. VA DE L’AVANT. <<<
il voulait m’aider mon père il voulait m’encourager à prendre confiance en moi à me mettre en avant avec un corps qui en impose qui prend de la place qui force le respect il voulait que je sois à l’image de mon apparence acquise que je m’approprie l’espace qu’on me regarde que l’on m’admire alors il aurait pu dire que je suis son fils et qu’il est fier de moi seulement
>>> FAIS ATTENTION UN PEU <<<
je n’étais pas adroit avec ce corps j’ignore si j’aurais pu l’être sans les opérations que j’ai subies avec je ne l’étais pas cela est certain j’étais empoté et chaque faux pas me semblait plus difficile à assumer car je n’étais plus frêle chaque objet que je cognais manquait de se briser je me sentais encombrant à chaque nouvelle intervention je me courbais un peu plus cela donnait à penser que je manquais encore de confiance qu’une nouvelle prothèse était requise cercle vicieux que je voyais bien sans oser rien dire je n’étais qu’un enfant mon père un grand scientifique un grand scientifique qui ne comprenait pas mes critiques les rares fois où j’osais en émettre
>>> NE DIS PAS DES SOTISES COMME CA ! LES GENS VONT TE PRENDRE POUR UN FOU ! <<<
j’ai appris à me taire j’étais sensible à ses remarques en dehors de lui j’étais seul seul seul il devait y avoir une raison il me fournissait des pistes j’étais seul parce que mes paroles témoignaient de mes excentricités certainement surement oui j’en avais la preuve j’ai appris à me taire jusqu’au moment où le silence est devenu la raison de ma solitude j’étais seul parce que je ne disais rien mon père lui-même s’agaçait de mon incapacité à communiquer
>>> PARLE MOI DONC. ON NE VA PAS RESTER COMME ÇA EN CHIEN DE FAILLANCE À SE REGARDER SANS RIEN DIRE <<<
isolation j’essayais de faire de mon mieux j’essayais de prendre possession de ce corps qui n’était pas le mien qui était un conglomérat de ce que les autres de ce que mon père attendaient que je sois qui n’était que la manifestation de ma bonne volonté j’essayais je parlais de lui de mon corps de ce que je pouvais lui faire faire cette conversation-là semblait convenir du moins elle convenait à mon père il n’y avait que lui dans ma vie je crois en vérité que le problème vient de là si je remonte le fil assez loin
>>> C’EST ÇA QUI ME TUE AVEC TOI : TU AS DE LA CONVERSATION, TU ES CAPABLE DE PARLER DE CHOSES ET D’AUTRES, POURQUOI NE LE FAIS-TU PAS ? <<<
et réciproquement il n’y avait que moi dans la vie de mon père moi et ses études les secondes étant sujettes à remords il réalisait qu’il s’était peut-être fourvoyé qu’il avait encensé les mauvaises personnes que l’admettre lui était douloureux lui causait une honte qu’il voulait compenser que moi que moi au moins je sois à la hauteur de ses espérances fussent-elles informulées qu’il puisse dire qu’il avait raison sur moi sur l’envie qu’il avait eue de m’avoir
>>> J’AI FAIT TOUS LES SACRIFICES POUR TOI <<<
il ressassait beaucoup sa vie il pensait à Elisabeth son unique amour qu’il n’osait pas demander en mariage parce qu’il m’avait moi parce qu’il avait voulu m’avoir parce qu’il avait peur qu’elle ne veuille pas d’un enfant qui n’était pas le sien
>>> TU NE T’ENTENDS AVEC PERSONNE. TU N’AS AUCUN AMI. FAIT UN EFFORT À LA FIN ! <<<
j’en venais à penser que je n’étais pas assez bien pour Elisabeth pas assez bien pour qui que ce soit sinon pour mon père qui lui n’avait pas le choix du fait qu’il était mon père que le devoir filial avait toujours été pour lui de la plus haute importance j’en venais à penser que personne ne pourrait jamais m’aimer véritablement m’aimer pas à moins d’y être contraint
>>> MOI JE T’AIME PARCE QUE JE SUIS TON PERE, PARCE QUE JE TE CONNAIS, PARCE QUE JE T’AI VU GRANDIR ET QUE J’AI APPRIS À VOIR AU DELÀ DE TES EXCENTRICITÉS. MAIS LES AUTRES NE VONT PAS SE DONNER CETTE PEINE. C’EST À TOI DE TE MONTRER SOUS TON MEILLEUR JOUR <<<
mon père était un bon ami mon père était bien vu mon père encourageait chacun de ses proches dans leurs facéties mon père ne se sentait pas responsable des autres que de moi les autres aimaient mon père mon père était une figure non concordante l’affection qu’il me donnait m’était spécifique emplie d’inquiétudes de reproches et de tendresse de colère et d’encouragements mon père me prenait dans ses bras il était le seul à le faire j’aurais dû apprécier ses étreintes les seules que j’avais pourtant il y avait ce corps trop massif entre lui et moi j’étais si gauche j’étais si peu soigneux
>>> CE N’EST QU’UNE QUESTION DE PRÉSENTATION. TU AS TOUT CE DONT TU AS BESOIN, J’Y AI PERSONNELEMENT VEILLÉ. ALORS ARRÊTE DE MANGER AUTANT ET FAIT PLUS DE SPORT ! <<<
je surveillais mon alimentation ce qui semblait ne jamais suffire je n’arrivais pas à trouver quel régime suivre chaque opération changeait la donne j’avais besoin de moins en moins envie de plus en plus les prothèses que l’on m’avait greffées formaient des bourrelets disgracieux mon père les pointait du doigt je me sentais laid
>>> PRENDS SOIN DE TOI ! C’EST QUAND MÊME PAS COMPLIQUÉ ! <<<
je faisais du sport aussi j’étais devenu le plus rapide à la course je courrais tous les matins avec application cela ne changeait rien au problème j’étais seulement plus fatigué je faisais seulement grandir en moi l’envie d’aller m’assoir d’aller m’assoir longtemps de plus en plus longtemps trop longtemps inquiétant je me faisais surprendre les mains dans la terre encore et encore
>>> LÈVE TOI <<<
toujours il ramenait mes problèmes à mon corps que j’entretenais mal qui avait couté si cher qui avait tant de potentiel inexploité que je devais mettre en mouvement
>>> COMMENT VEUX TU QUE LES GENS T’AIMENT SI TU NE T’AIME PAS TOI-MEME ? SI TU NE PRENDS PAS SOIN DE TOI ? >>>
je savais qu’il avait raison personne ne voulait de moi ni à l’école ni ailleurs je ne savais pas comment aller vers les autres j’avais peur de les blesser avec mon corps trop grand avec mes gestes trop brusques avec mes mots de trop ou de pas assez alors j’observais de loin je restais debout en espérant que l’on vienne me parler on ne venait jamais je suppose que j’avais l’air intimidant raide silencieux je suppose qu’on devait sentir que j’aurais pu sans effort briser des os
>>> POURQUOI VEUX TU QUE LES GENS VIENNENT VERS TOI SI TU NE VAS PAS VERS EUX ? <<<
j’attendais en vain et parfois miracle quelqu’un venait à moi alors mon visage entier s’illuminait d’un sourire du moins je crois dans un premier temps ensuite je restais figé avec mon corps dont je ne savais pas quoi faire et des mots qui ne voulaient pas sortir car je me rappelais des avertissements de mon père
>>> MAIS QU’EST-CE QUE C’EST QUE CETTE REMARQUE ENCORE ? TU DIS PAS ÇA EN DEHORS DE LA MAISON J’ESPÈRE ! <<<
j’avais peur de dire un mot de travers alors je ne disais rien et je souriais j’étais heureux d’avoir un peu de proximité enfin mais cela ne durait jamais je n’avais rien à dire ma compagnie n’était pas intéressante je ne savais parler que de sport de sport de sport mais le sport je n’aimais pas cela tout le monde voyait bien que je n’avais aucune aisance seulement de l’endurance et de la force je n’aimais pas en parler j’avais honte ou bien j’avais l’impression de réciter une leçon apprise par cœur cela devait se voir je jouais un rôle cela mettait tout le monde mal à l’aise alors je rentrais le soir et je n’avais toujours personne j’avais seulement mon père
>>> TU ES INTELLIGENT POURTANT <<<
mon père m’aimait je crois ou du moins le croyait-il parce qu’il aimait le potentiel qu’il décelait en moi il aimait pouvoir me présenter m’exhiber parler de ce qu’il aimait chez moi c’est-à-dire ce que moi je n’aimais pas omettre ce qu’il n’aimait pas chez moi c’est-à-dire ce que j’estimais constitutif de mon être il aimait me prendre dans ses bras mais moi je ne savais pas lui rendre son étreinte
>>> QU’EST-CE QUI NE VA PAS CHEZ TOI ? <<<
mon père voyait bien que je ne le touchais pas pas vraiment que mes poings restaient toujours fermés que mes bras restaient toujours crispés crispés loin un arc qui entoure et qui n’enlace pas mon père n’aimait pas cela colère colère ah tout ce que j’avais raté tous les reproches qu’il pouvait me faire j’aurais dû réussir un câlin facile un câlin juste j’aurais dû réussir j’avais tous les atouts en poche il avait fait en sorte que j’ai tous les atouts en poche
>>> POURQUOI EST-CE QUE TU NE TOUCHES JAMAIS LES GENS ? <<<
je ne savais pas quoi lui dire je ne savais pas comment réagir les mots se bloquaient de ma gorge j’essayais très fort de ne pas pleurer il n’aimait pas les pleurs je crois que mon silence l’énervait d’avantage il le prenait pour du désintérêt du snobisme il me reprochait de ne pas suivre ses conseils de ne faire aucun effort
>>> MOI JE M’INQUIÈTE POUR TOI ! JE SUIS TON PÈRE, ET JE M’INQUIÈTE POUR TOI ! JE NE SERAIS PAS TOUJOURS LÀ. TU LE SAIS ÇA : QU’IL VA BIEN FALLOIR QUE TU APPRENNES À TE DÉBROUILLER SANS MOI, QUE TU TROUVES DE L’AFFECTION AVEC D’AUTRES QUE MOI. JE NE VEUX PAS QUE TU FINISSES SEUL <<<
moi toujours je restais stoïque j’avais entendu ses mots trop souvent je savais oui que mon père ne serait pas toujours là je ne voulais pas penser au futur le futur m’angoissait le futur impliquait de trouver comment employer convenablement mon corps et mon esprit qui l’un comme l’autre me semblaient monstrueux
>>> TU N’ÉCOUTES MÊME PAS CE QUE JE DIS… C’EST BIEN BEAU DE VOULOIR GLANDER AU FOND DU JARDIN, MAIS C’EST PAS UNE OPTION DE CARRIÈRE. TU LE SAIS. IL VA BIEN FALLOIR QUE TU TROUVES QUELQUE CHOSE À FAIRE DE TA VIE ! <<<
mon corps était monstrueux il ne m’appartenait pas il était une création il faisait de moi une créature créature forgée par mon père mon esprit était monstrueux il n’était pas capable de penser correctement il n’était pas capable d’aimer les bonnes choses de s’intéresser au sport de me faire bomber les épaules il était seulement capable de faire des nœuds et d’émettre des idées tordues
>>> DIS QUELQUE CHOSE AU MOINS ! <<<
il était seulement capable de sortir des mots trop rapides mon père me l’avait dit cela aussi que je parlais trop vite que j’avais l’air d’un dément que je devais ralentir mon flux de parole ne pas sortir tout en même temps ne pas donner à voir ce fil trop long que j’étais le seul à pouvoir suivre tout garder dedans je devais faire attention à mes mots à ma ponctuation la ponctuation c’est important j’oublie ma pensée ne connait pas de point
>>> AIES UNE RÉACTION <<<
mon esprit est à l’image de ce désordre vif flux ininterrompu que je ne sais pas réguler mon esprit est une pelote de nœuds quelque chose d’inextricable que je n’ose pas montrer dont j’ai honte tout ce fouillis qui m’agite qui est mi-dedans mi-dehors qui est en mouvement continu de chute qui n’en finit pas de se tirer et de former des motifs qui ne font honneur à personne
>>> OHÉ !! <<<
mon esprit est à l’image de mon corps il est difforme il est hideux mais mon esprit au moins peut être masqué je ne suis pas obligé de parler pas obligé de révéler à quel point il n’y a rien à sauver chez moi
>>> TU N’ESSAIE MÊME PAS <<<
parce que si l’on devait me voir tel que je suis non seulement dans la disgrâce de mon apparence mais aussi dans les méandres de mon intériorité alors alors qui pourrait m’aimer qui sinon mon père qui n’a pas le choix
>>> POURTANT JUSTINE MORITZ T’AIMAIS <<<
voilà voilà le moment les larmes
>>> ET TOI MÊME PAS TU LUI PARLAIS ! <<<
alors ainsi je peux être aimé aimé malgré tout aimé ne fusse que par un seul être comment est-ce possible pourquoi ne me l’a-t-on jamais dit comment puis-je le croire et pourtant et malgré tout et en même temps les émotions me lacèrent elles se nouent autour de ma gorge elles s’échappent par mes yeux
>>> ÇA NE SERT À RIEN DE PLEURER <<<
mon père n’aime pas que je pleure mais je pense à Justine Moritz qui est notre voisine qui m’aime peut-être ce dont je ne m’étais pas rendu compte puisqu’elle ne m’a jamais vraiment parlé puisqu’elle ne me parlera plus
>>> JE N’Y CROIS PAS À TES LARMES <<<
Justine Moritz qui s’est si souvent occupée si souvent de nous qui s’est sentie si coupable quand William est mort que personne n’a pu consoler que moi j’aurais pu consoler peut-être si j’avais su qu’elle m’aimait si j’avais su que mes paroles auraient eu pour elle de l’importance j’aurais pu lui dire ce n’était pas de sa faute si elle avait oublié l’inhalateur ce jour-là si elle n’avait pas pu empêcher mon cousin de s’étouffer dans la pollution j’aurais pu lui dire que c’était de ma faute à moi qui avait subi tant d’opérations qui avait accaparé tant de ressources au détriment des autres de mon cousin de William mon père lui aurait peut-être offert des poumons neufs si tout n’avais pas déjà été dépensé pour moi
>>> TU TE LAMENTES SUR TON SORT ! TU N’AS MÊME PAS PLEURÉ POUR LA MORT DE WILLIAM <<<
c’est vrai que je n’ai pas pleuré quand William est mort il faut dire qu’il ne m’aimait pas beaucoup que j’étais plus atterré que triste
>>> TU N’ES QU’UN ÉGOÏSTE <<<
il est vrai que je suis égoïste j’ai la mort de deux personnes sur la conscience d’abord William qui aurait pu bénéficier de meilleurs poumons si je n’avais pas existé ensuite Justine Moritz qui n’a jamais plus été la même depuis qui a fini par tous nous quitter
>>> ET CESSE DÉFINITIVEMENT DE PLEURER <<<
je pense à ces deux personnes avec qui je n’ai pas su nouer de lien qui étaient en revanche très proches de mon père je pense que si je suis privé de leur compagnie mon père l’est plus encore je suis égoïste je suis un monstre je suis la plus grande erreur dans la vie de mon père le docteur Victor Frankenstein qui en a pourtant commis d’autres des erreurs
>>> PERSONNE N’AIME LES GENS QUI PLEURENT. MOI JE N’AIME PAS LES GENS QUI PLEURENT. JE N’AIME PAS QUAND TU PLEURES. ÇA NE M’ÉMEUT PAS. ÇA ME DONNE SEULEMENT ENVIE DE PARTIR <<<
en vérité en vérité je n’ai pas de contre-exemple à fournir si je n’étais pas égoïste si j’étais compatissant si j’étais à l’extérieur mieux que ce que mon corps pataud permet d’imaginer alors surement aurais-je dû trouver quelqu’un qui m’aime
>>> PERSONNE NE VOUDRA JAMAIS RESTER PRÈS DE TOI SI TU N’ES N’EST BON QU’À PLEURER <<<
mais personne non personne il n’y a personne rien que mon père qui voudrait vivre auprès d’Elisabeth qui ne peut pas parce que je suis là rien que mon père qui doit s’occuper de moi certainement aucune femme ne voudrait partager ce fardeau pas même Elisabeth
>>> PAS ÉTONNANT QUE TU SOIS SEUL <<<
pas étonnant que je sois seul non pas étonnant c’est seul que je vais me coucher c’est seul que je pense à une personne qui m’aimerait je rêve de fiançailles imaginaires quelqu’un dont je serais le compagnon l’ami quelqu’un qui me comprenne quelqu’un que mon père ne peut pas m’offrir quelqu’un qui d’après mon père ne peut pas exister quelqu’un en qui moi-même je ne crois plus j’ai appris à ne plus croire alors je regarde les autres je les envie je les trouve beau l’histoire de ma vie observer et aimer aimer sans partage accepter qu’on ne me rende pas la sympathie que je porte tant d’amour en moi personne à qui le montrer je trouve le monde beau noble et moi si disgracieux je voudrais le leur dire aux gens que je les aime que quand je les regarde je trouve en eux tant de qualités mais qui voudrait entendre ces mots s’ils sortent de ma bouche mon amour est vicié il est noueux comme le reste il est un fil décousu qui ne mène nulle part qui rentre et qui sort qui rentre et qui sort qui est comme un nuage sombre autour de moi qui doit rebuter surement et mes mains trop grosses avec lesquelles je n’ose pas étreindre
>>> JE SAIS QUE JE DIS MAL LES CHOSES, JE NE VEUX PAS TE FAIRE DE PEINE. JE VEUX SEULEMENT T’AIDER. CE QUE JE TE DIS JE LE PENSE. TOUT LE MONDE LE PENSE. LES AUTRES NE TE DISENT RIEN PARCE QU’ILS S’EN FOUTENT DE TOI. JE TE CRITIQUE PARCE QUE JE T’AIME. PARCE QUE JE VEUX QUE TU T’AMÉLIORE. ELLE SERT À ÇA, LA FAMILLE. <<<
j’aimerais qu’il y ait quelque chose pour moi dans ce monde quelque chose ou quelqu’un j’aimerais que mes pensées ne soient pas si bordéliques j’aimerais pouvoir montrer ce que je suis et qu’on ne parte pas en courant
>>> JE TE BOUSCULE PARCE QUE JE T’AIME, ET QUE JE M’INQUIÈTE POUR TOI <<<
j’aimerais que ce corps que l’on m’a donné tienne un peu ses promesses qu’il me donne la confiance dont je manque que je m’épanouisse à l’intérieur de lui je voudrais pouvoir exister sans sentir le besoin de m’excuser toujours
>>> TU NE PEUX PAS TE CONTENTER DE RESTER ASSIS. TU DOIS BOUGER ! TU DOIS VIVRE !! <<<
je m’excuse je m’excuse encore j’essaie d’expliquer j’en reviens à mes amours contrarié à la seule chose qui m’ait jamais donné du plaisir j’essaie de faire comprendre la sensation que cela me procure le plaisir d’avoir les deux mains enfoncées dans le sol l’énergie qui remonte de la terre le soleil sur ma peau le sentiment de m’épanouir là dans l’immobilité
>>> DIS-MOI POURQUOI TU ES COMME ÇA. TU SAIS QUE JE TE SOUTIENDRAIS, QUE JE TE SOUTIENDRAIS QUOI QU’IL ARRIVE, QUE SI TU TROUVES TA VOIE JE SERAIS LE PREMIER À T’AIDER À L’ARPENTER <<<
je dois pouvoir choisir qui je suis qui je serais cela mon père me le dis et me le répète il m’a donné la force et le physique à moi d’en faire ce que bon me semble je pourrais soulever des charges je pourrais tirer découper trainer modeler secouer fabriquer démanteler bâtir aussi je pourrais mettre mes mains à disposition pour faire ce que je veux ce que je veux sauf les laisser s’immerger comme deux racines ce que je veux pourvu que ce soit viable devenir arbre n’est pas rentable
>>> TU SAIS QUE JE T’AI TOUJOURS LAISSÉ TOUTE LATTITUDE <<<
j’ai des possibilités infinies j’ai tout je peux tout être tout tout sauf ce que je suis vraiment car cela n’est pas et ne sera jamais acceptable je ne suis pas un arbre je ne suis pas une plante je ne suis qu’une tête de bois obstinée et pleine de nœuds pas viable pas viable pas viable jamais j’essaie pourtant dans les possibilités qui me restent dans tout ce que je peux faire qui n’est pas être moi mais qui est être quelque chose dans ce qui répond à la grande injonction sois même sois identique à ce modèle que tu te choisis à défaut d’être toi-même
>>> JE N’AI FAIT QUE T’ENCOURAGER <<<
c’est moi qui ai choisi la course je suis bon à ça mon corps a bien les capacités qu’on lui prête endurance force vitesse courir ne me demande rien d’autre ni d’être habile ni de me poser des questions ni d’interagir avec qui que ce soit je n’ai besoin que de poser un pied devant l’autre et encore et encore et encore je n’ai besoin que de fuir
>>> JE VEUX SEULEMENT QUE TU AILLES DE L’AVANT, QUE TU SACHES QUE JE SERAIS LÀ POUR T’ÉPAULER, QUOI QU’IL ARRIVE <<<
mais la course je n’aime pas ça je n’ai jamais aimé cela je n’aime pas le gout de l’air vicié qui remplit mes poumons qui donne à ma salive une texture trop dense et un goût de mort je n’aime pas mes muscles en souffrance je n’aime pas avancer sans savoir où je vais sans avoir de but sinon celui d’être obéissant rentable
>>> ALLEZ ! ALLEZ ! <<<
tant que je cours j’aurais un travail j’aurais une vie tant que je cours je ne meurs pas tout à fait mais on m’a demandé d’aller courir loin dans les montagnes sans voir personne pendant des mois seulement courir être seul seul avec le bruit de mon cœur battant et du vent dans mes oreilles j’ai paniqué j’ai dit non non non non ne me forcez pas à y aller je ne peux pas y aller
>>> ESSAIE AU MOINS. CE N’EST QU’UNE PREMIÈRE MISSION. TU NE SERAS PAS OBLIGÉ D’ACCEPTER LES SUIVANTES, MAIS IL FAUT BIEN QUE TU FASSES QUELQUE CHOSE DE TA VIE <<<
la course je sais faire la course je sais théoriquement faire mais je ne veux pas mais je ne peux pas c’est au-dessus de mes forces j’ai dit s’il te plait s’il te plait ne me force pas à y aller je trouverais autre chose mais là dans le froid des montagnes en solo je ne peux pas j’ai pleuré cela n’a rien arrangé mon père n’aime pas que je pleure il a dit
>>> DE TOUTE FAÇON TU NE PEUX PAS RESTER À LA MAISON. POUR MOI C’EST HORS DE QUESTION. TU DOIS ÊTRE AUTONOME. <<<
j’ai supplié encore j’ai essayé d’expliquer je me suis senti vraiment mal je me suis réfugié au fond du jardin je suis devenu fontaine j’ai été incapable de parler je me suis fait tirer de force dans le salon je n’ai pas su imposer le silence je n’ai pas su m’imposer je me suis senti de trop j’aurais voulu disparaitre sous terre mais sous terre ça ne se peut pas disparaitre c’est partir disparaitre c’est courir loin fuir
>>> TU SAIS J’AURAIS PU TE LAISSER RESTER UN PEU PLUS LONGTEMPS À LA MAISON, MAIS TU ES TROP INSSUPORTABLE. CE N’EST PAS POSSIBLE DE VIVRE AVEC TOI <<<
alors je suis parti je me suis dit que j’allais essayer au moins que j’allais courir que je pourrais revenir j’ai fait promettre à mon père qu’il ne me forcerait pas à continuer au-delà de mes limites je savais que je ne tiendrais pas longtemps cela ne faisait aucun doute j’avais déjà eu des missions similaires qui avaient duré moins longtemps j’avais déjà cru défaillir
>>> COURAGE MON FILS <<<
j’ai couru j’ai couru et tout le temps que je courrais mon père n’était pas loin j’entendais toujours sa voix ses remarques venues du passé lui seul m’avait poussé à être là à courir j’ai couru j’ai eu mal dans mon corps et j’ai eu mal dans mon âme je n’ai plus su dire ce qui me blessait le plus je savais seulement que je ne voulais pas faire ça que je voulais m’arrêter que je ne pouvais plus continuer que mon corps avançait seulement par réflexe parce qu’il avait été dressé à la course mais je ne mangeais plus je pensais que je n’avais pas besoin de manger ou alors je perdais le sens de la faim et mon corps se désagrégeait sans que je m’en rende compte mes prothèses commençaient à pendre mes points de suture à se défaire et dans cette défaite je voyais un fil à tirer un fil que je voulais tirer
>>> TIENS BON <<<
je ne voulais plus tenir bon je voulais me défaire de tout je ne voulais plus de ces encouragements à foncer dans le mur je ne voulais plus forcer un respect qui ne venait pas je voulais que l’on m’aime ou que j’apprenne à m’aimer moi-même je voulais enfin m’implanter quelque part
>>> TU PEUX LE FAIRE JE CROIS EN TOI <<<
je ne savais pas où aller chez mon père non l’option semblait seule possible mais je ne voulais pas de ce refuge-là de cette maison qui n’en est pas une dans ce jardin du déracinement permanent sous le joug de conseils impossibles à suivre sous la consigne de me changer encore d’être même de continuer de poursuivre de partir de laisser place mon père sa voix me revenait en échos continus sa voie qu’il entendait faire mienne il ne voulait pas de moi sous son toit pas de moi à l’arrêt alors la course la course me tuait mais je ne m’arrêtais pas rentrer eut été pire je repensais à toutes ces disputes que nous avions eues aux reproches que je devrais essuyer car je n’étais pas le fils que mon père aurait voulu il n’attendait pourtant rien mais pas moi juste pas moi mieux que moi plus adapté moins fragile moins bizarre
>>> JE T’AIME <<<
courir fuir perpétuellement être sur la corde et alors voir le fil mes pensées le suivre dans ses méandres songer des vers forment un cocon dont on tire la soie ver à soie vers soi si je tire le fil embrouillé il en ressortira peut-être du beau j’en ressortirais peut-être beau le puis-je être beau accoler à moi cet adjectif si peu familier
>>> NE T’ARRÊTE PAS <<<
tirer le fil comme on tire sur sa canne à pêche espérant une prise enfin quelque chose quelque chose qui n’était peut-être rien qu’importe j’avais besoin de plus de tirer jusqu’au bout de me voir entier mon dehors et mon dedans mêlés je me disais qu’il suffirait seulement que je me pose que je forme ma chrysalide que je fasse germer l’espoir d’en ressurgir il suffirait que je me pose juste que j’essaie que je tente que je me trouve un jardin que je me trouve un arbre que je prenne racine mais où mais où mais où je ne sais pas je sais seulement que mon père n’est pas une option qu’il ne veut pas que je me stoppe qu’il a trop peur de l’immobilité qu’il a peur que je ne redémarre jamais si je m’arrête qu’il tient à moi qu’il ne veut pas que je lâche prise
>>> TIENS BON <<<
moi je veux tout lâcher je veux que rien ne tienne je veux me dérouler tout à fait et me reformer dans un autre ordre je ne veux pas qu’il me protège d’être moi car c’est de ne pas l’être qui me tue j’ai conscience des barrières qui m’entravent et je sais que c’est lui qui les a placées même s’il ne l’admettra jamais il dira avoir fait de son mieux n’avoir rien à se reprocher il est un bon père je suis injuste d’insinuer qu’il ait pu commettre des maladresses dans mon éducation lui qui m’a tout donné
>>> JE T’AIMERAIS TOUJOURS <<<
c’est vrai qu’il m’a tout donné il est la seule personne qui m’aie jamais aimé il est la seule personne qui m’aimera jamais pourtant pourquoi je ne veux plus plus de son amour pas maintenant peut-être pas demain non plus je ne veux plus de cette blessure involontaire de cet attachement qui entrave de ces nœuds quand il m’aime c’est lui-même qu’il aime à travers moi c’est l’idée d’un fils dont il serait fier je suis las d’être sa créature je suis las de ne jamais pouvoir me poser assez longtemps je suis las de cette triste vérité tant que je cours et j’ai beau détester courir tant que je cours je n’ai pas à l’écouter ce silence est tout ce qui me reste tout ce qui me maintient un pied devant l’autre
>>> MON FILS <<<
mais je ne suis pas fait pour courir mon corps peut-être moi non c’est moi qui prime j’ai été modelé pour résister aux privations pas fait pour survivre au manque de tout puisque je ne mange plus puisque je ne bois plus puisque je suis sous des latitudes trop froides puisque j’oublie tou puisque j’ai mal puisque je ne veux pas réfléchir puisque j’aspire seulement à tout lâcher mon corps a tout mais pas assez pour résister au traitement que je lui impose c’est peut-être un acte manqué un dernier acte de survie par l’abandon de tout ce qui fait vivre je m’effondre
>>> DONNE MOI DE TES NOUVELLES <<<
soudain je me disperse soudain il me semble que j’explose ou bien que j’implose c’est peut-être la même chose soudain les fils qui me constituent se distendent et s’étalent dans toutes les directions soudain des pensées que j’avais tenues secrètes atteignent d’autres gens d’autres oreilles soudain on me répond ce que mon père ne m’a jamais répondu
— Hey, c’est intéressant, ce que tu dis.
et alors on m’adresse un sourire et alors on me demande d’en dire plu et alors et alors et alors
>>> TU NE ME DIS PLUS RIEN. POURQUOI NE ME DIS-TU PLUS RIEN ? <<<
alors je parle alors je déballe tout je jouis qu’on ne m’interrompe pas qu’on ne dise pas que j’ai tort tort d’être ce que je suis tort de penser ce que je pense au moins dans ma parole je me sens libre enfin libre de dérouler ça fait mal mais ça fait du bien
>>> TU ME DÉTESTE, C’EST ÇA ? TU ME TRAITE COMME TU TRAITAIS JUSTINE MORITZ, QUI T’AIMAIS ET QUE TU NE CALCULAIS PAS, QUE TU AS FAIT FUIR <<<
je me dis que j’ai des amis je n’y crois pas pourtant je suis là je suis avec des gens qui sont contents de me voir qui me disent de revenir je pense que c’est un accident qu’ils vont se rendre compte que je ne suis qu’un monstre embrouillé pourtant ils restent ils me disent de rester ils me disent
— Pose-toi. Tu as le droit, tu sais. Aucun de nous ne possède rien, on est en transition, en transhumance, on ne sait pas créer des abris sur le long terme. Mais pour le moment, nous sommes ici, et tu es le bienvenu parmi nous.
alors je pleure je pleure trop plus que jamais je ne sais plus m’arrêter et je me rappelle que personne n’aime cela que je pleure je me dis que je suis fichu que l’on va se détourner de moi il est évident que je ne suis qu’une machine à chagrin mais non
>>> TU AS TOUJOURS BESOIN DE HAÏR QUELQU’UN, C’EST ÇA LE TRUC, PAS VRAI ? ET MAINTENANT C’EST MOI QUE TU DÉTESTES ! <<<
non on ne se détourne pas de moi au contraire on voit ma peine et on cherche seulement à me consoler on ne m’accuse de rien surtout pas de mon propre malheur on voit mes larmes et on les essuie quelque chose se brise en moi une digue le mouvement avait l’air tellement naturel juste ôter une larme sur ma joue c’est la première fois depuis des années qu’une personne qui n’est pas mon père me touche la première fois qu’une personne qui n’est pas mon père me donne de la tendresse la première fois aussi que l’on me dit
— Ça va aller.
sans que ce soit une négation de ma détresse mais une invitation à l’exprimer c’est la première fois que l’on me dit que je suis légitime dans mon ressenti que j’ai le droit d’aller mal de le dire que je n’ai pas besoin d’aller bien pour être accepté
>>> TU TE COUPES DE MOI ! TU NE DIS PLUS RIEN ! <<<
alors je dis tout je dis tout et plus je dis plus j’ai peur d’en avoir trop raconté de rebuter mon auditoire je me dis que je le rebuterai quoi qu’il arrive puisque j’ignore ce que j’ai à offrir sinon de l’amour oui de l’amour un peu d’amour surement mais qui voudrait de mon amour il ne vaut rien et même s’il valait quelque chose il est intrusif je ne suis personne mon corps est délabré mes pensés n’ont pas d’ordre
>>> TU ES INJUSTE ! TU ES ÉGOÏSTE ! <<<
j’ai peur que toutes mes relations soient bancales qu’elles finissent par s’écrouler les unes après les autres j’ai tant besoin de donner tant besoin de recevoir je ne suis qu’un élément récemment importé facilement remplaçable dans les vies déjà bien remplies des personnes que je rencontre
>>> TU N’AS PAS DE COMPASSION. TU SAIS EXACTEMENT CE QUE JE RESSENS QUAND TU NE M’ADRESSES PLUS LA PAROLE, QUAND TU ME LANCES DES REGARDS LOURDS. ET POURTANT TU TE TAIS. ET POURTANT TU NE CACHES PAS LE MÉPRIS DANS TES YEUX <<<
j’ai peur de tant de choses j’ai l’air d’aller si mal il est vrai que je me délite et cependant je pense qu’aller mieux est possible je pense que j’aurais pu aller mieux depuis longtemps je pense aux occasions ratées aux occasions à venir je ne sais pas si je suis abattu ou soulagé ou si c’est la sensation d’être les deux à la fois qui est si vive
>>> AS-TU SEULEMENT CONSCIENCE DE TOUT CE QUE J’AI FAIT POUR TOI ? EST-CE QU’IL T’ARRIVE SEULEMENT D’ENVISAGER QUE J’AURAIS PU ÊTRE PLUS HEUREUX SANS TOI ? <<<
je tire sur le fil je tire encore je ne veux pas qu’il rompe je ne veux pas être interrompu je plante enfin mes deux mains dans le sol je suis à ma place ici sur ce lopin minuscule où enfin je ne suis pas seul où je ne suis pas condamné où je suis seulement pour l’heure bienvenu
>>> SANS TOI J’AURAIS PU FAIRE MA VIE AVEC ÉLISABETH <<<
ici je n’ai pas besoin de me sentir coupable je me fais arbre je me fais vivant mes prothèses tombent comme de la vieille écorce je suis peut-être difforme mais j’ai ce qu’il me faut je puise de plus en plus loin je rassemble mes idées j’intellectualise tout j’intellectualise trop je mets des mots sur mes émotions pour qu’elles sortent enfin je revendique ce que j’ai envie d’être ce que je suis
>>> PARLE MOI !! <<<
arbre
>>> JE NE TE COMPRENDS PLUS ! <<<
arbre abri brise de loin mon père me regarde il repense à moi petit les deux mains enfoncées dans le sol il me voit adulte dire que je vais mal il se souvient forcément de tout ce qu’il m’a dit de ses certitudes assénées sur ce qui doit et sur ce qui ne doit pas être j’attends qu’il comprenne l’enchaînement j’ai toujours été arbre ou j’ai toujours voulu l’être j’ai toujours eu besoin de m’accroupir et de ne plus bouger j’ai toujours eu besoin d’aller chercher au plus profond pour porter mon regard le plus loin j’ai toujours souffert de ne pas en avoir le temps souffert de ne même plus espérer l’avoir un jour le temps de ne rien faire souffert non de ma bizarrerie mais de sa stigmatisation de ses mots à lui mon père de son inquiétude pesante pathologisante
>>> CHERCHES-TU DONC À M’ASSASSINER ? MOI QUI N’ASPIRE QU’À TE SOUTENIR <<<
il ne me demande pas pardon il ne me demandera jamais pardon il ne voit pas le problème il ne m’a jamais empêcher d’aller au jardin d’aller y jouer d’aller m’y reposer il a toujours trouvé génial que j’aie une passion pour le sylvestre il me l’a toujours dit il a toujours été fier il craignait seulement pour mon avenir il m’a seulement conseillé de ne pas y rester trop longtemps il a seulement été réaliste en m’expliquant que je ne pourrais pas vivre les mains entravées dans la terre le monde ne le permettrait pas et pour mon propre bien il ne le permettrait pas non plus
>>> JE TE SOUTIENS TU M’ENTENDS ! JE TE SOUTIENS À CENT POURCENT <<<
tout est faux l’amour ne devrait pas être un prétexte pour décider à la place d’autrui l’honnêteté ne devrait pas être une autorisation à être blessant les bonnes intentions ne devraient pas dispenser de formuler des excuses je ne veux plus d’une vie qui soit fausse je ne veux plus être le seul à me remettre en question je ne veux plus faire comme si je n’avais pas perdu mon temps à courir courir pour aller nulle part courir pour une gloire dont je n’ai jamais voulue je ne veux pas d’un soutien mal placé on ne peut pas soutenir à cent pourcent quelqu’un qu’on ne comprend pas on ne peut pas récolter tous les lauriers d’une bataille que l’on a pas mené mon père ne s’est pas battu pour que je puisse être arbre il s’est battu pour que je renonce à l’être pour que je trouve mon bonheur ailleurs un bonheur plus accessible mon père ne s’est pas battu pour moi il s’est battu oui mais contre moi et le pire le pire est qu’il ne s’en rende pas compte je pardonnerais tout le reste dans la seconde pas son déni
>>> BRAVO À TOI JE SUIS SI FIER <<<
ses bravos voilà ce qui me tue pas les erreurs pas les fausses routes mais la négation de leurs existences de leurs conséquences
>>> JE T’AIME MON FILS <<<
non je ne suis pas parfait non je ne l’ai jamais été non je ne le serais jamais je suis bizarre maladroit bancal usé difficile et têtu oui j’ai des défauts que je n’ai pas corrigés j’en ai conscience on me les a bien assez martelés mais j’ai fait de mon mieux j’ai essayé je jure que j’ai essayé j’ai voulu suivre les conseils je suis seulement parvenu à me disloquer tout entier
>>> M’AIMES-TU ? <<<
alors je ferme les yeux je laisse la terre me nourrir je laisse le soleil m’éclairer je laisse ma peau se couvrir de feuilles je laisse mes feuilles se couvrir de mots je pense soudain que l’air autour de moi est un peu plus respirable un peu mieux oxygéné pour le temps que cela durera un peu plus viable je prends racine mes fils trouvent leur sens de la terre vers les cieux ils me nourrissent et ils me protègent ils me recousent de l’intérieur j’oublie le temps qui passe qui finira par me chasser j’oublie les questions auxquelles il me faudra répondre un jour je me ressource je suis ici je suis maintenant
— Je suis chez moi.
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