Pertiner

Au début de mon blog, presque avant tout le reste, il y avait cette section (un peu oubliée depuis) intitulée « Parlons mots » que je définissais comme « tentative de dictionnaire parcellaire et subjectif, à l’inverse de ce que les dictionnaires doivent être ». J’aime les mots, j’aime explorer ce qu’ils veulent dire, ce qu’ils connotent, ce qu’ils révèlent parfois de personnel.

Mon but, ce n’était pas de me pencher sur chaque mot dans l’ordre alphabétique. Je ne suis pas encyclopédiste à moi toutt seull (même si j’aime écrire des personnages qui le sont). Mais un mot, parfois, comme point de départ d’une réflexion, c’est aussi bien qu’un livre qu’on chronique, qu’un film qu’on analyse, qu’une thématique qu’on explore. Le plus petit élément de sens.

Avec le temps, d’autres sections se sont ajoutées : j’ai parlé de la SF que j’aime, des dynamiques intracommunautaires que j’observe, j’ai fait de la photographie et des traductions…

Mais au fond, tout en haut de la barre de menu, cette envie de parler des mots eux-mêmes est restée.

En ce moment, je travaille sur un futur article consacré au langage en SFFF, et je me dis qu’en attendant de le sortir, peut-être sous forme de teaser, il serait intéressant d’en revenir à mon ébauche de dictionnaire parcellaire et subjectif.

Plus précisément, j’ai envie de parler des mots qu’on invente pour combler un manque, pour ajouter une subtilité ou juste pour s’amuser.

« Pertiner » ce n’est pas de moi.

Moi, j’ai donné mon opinion quelque part (je fais souvent ça), et on m’a répondu « Oh. Ça pertine ». Et j’ai su que je voudrais garder ce verbe.

Le sens, je pense, parle de lui-même. Il s’agit d’être pertinent, mais mis sous forme active. J’aime car cela remet de l’intentionnalité dans la qualité des réflexions que l’on produit, au lieu de n’observer que le résultat. J’aime car cela remet de l’interaction dans le partage d’idées: la réflexion n’est pas juste posée là, pertinente: elle produit quelque chose sur la personne qui la reçoit : ça la fait pertiner à son tour.

On me dit souvent que je suis pertinentt. On me le dit comme s’il s’agissait d’une qualité intrinsèque: Je serais pertinentt comme je suis myope ou friande de gâteau à la pistache.

Je n’aime pas ça.

J’aime pourtant qu’on reconnaisse mes qualités d’analyse. Mais je n’aime pas qu’on m’admire. Je n’ai pas de don, et le travail que je produis n’a rien d’inaccessible.

Juste: je réfléchis.

Ce qui signifie que: vous en êtes capables aussi.

Les artistes disent souvent, quand on leur parle de leur prétendu génie, qu’il s’agit avant tout de travail. C’est vrai et en même temps ce n’est pas tout à fait la question. C’est encore mettre le focus sur « ceusses qui font déjà ». Admirer mais autrement: non plus le « talent inné » mais le « mérite acqui ». Ça a l’air différent mais ça reste la même chose.

Ce que je voudrais, moi, ce n’est pas changer de piédestal. C’est en finir avec les piédestaux.

Car il y a un corollaire à élever certaines personnes au-dessus des foules: la foule, elle, doit rester dans la fosse. Or cela, comme projet collectif: ça ne m’intéresse pas du tout.

Je crois que notre intérêt commun, ce n’est pas de mettre en avant les « bonnes » figures « particulièrement pertinentes » (avec le reste de la population qui se contenterait d’intégrer et répéter les « conclusions pertinentes » tirées par cette élite intellectuelle), c’est nous encourager mutuellement à pertiner.

Je ne dis pas que tout le monde est capable d’arriver à la même finesse de réflexion sur tous les sujets (ne serait-ce que parce qu’on dispose d’un temps limité et qu’on ne peut pas toustes être expertts de tous. C’est bien d’écouter l’avis d’expertts quand on doit prendre une décision sur un sujet qu’on ne connaît pas, mais on ne peut pas prétendre connaître un sujet simplement parce qu’on a appris par cœur ce qu’en disent des figures d’autorité reconnues).

Mais se poser des questions et prendre le temps de chercher les réponses demande des efforts. Il est toujours plus facile d’identifier des personnes de confiance dont on suis les opinions : on sait que leurs conclusions ont tendance à être justes, pourquoi les remettre en question?

Or cette facilité, à terme, est délétère: doit-on vraiment expliquer pourquoi nous devrions encourager l’esprit critique? Il est triste que les influençaires qui donnent des outils d’analyse se retrouvent forcéés de faire des rappels
réguliers: « Non, je ne suis pas là pour décider à votre place de ce que
vous devriez penser. Je suis là pour vous donner les outils pour penser
vous-même. » et « Non, vous n’êtes pas supposé être d’accord avec cent
pourcent de ce que je dis. Y’a probablement un problème si vous l’êtes. »

Je déteste qu’on me dise que je suis brillantt, parce que c’est une manière de me laisser seull avec mes lumières.

J’ai envie de dire « pertiner » pour que cela devienne quelque chose que l’on fait plutôt que quelque chose que l’on a: un processus plutôt qu’un résultat.

C’est moins impressionnant, un processus. C’est un chemin. Ça se parcourt un pas après l’autre.

C’est accessible.

Quand je produis quelque chose d’intéressant, ce que j’aimerais inspirer (plutôt que du « respect » ou, pire, de « l’admiration », eurk) c’est une envie de faire pareil, de faire mieux. En pertinant, je veux donner envie à ceusses qui m’écoutent de pertiner à leur tour (pour arriver peut-être à des conclusions qui challengerons les miennes).

Franchement: contredisez-moi, surpassez-moi, par pitié. C’est pas dur (du moins pas comme vous croyez).

C’est ce que j’essaie de transmettre quand j’anime des ateliers d’écriture: les gens n’osent pas se lancer, mais c’est ce premier pas qui est difficile. Ensuite, on réalise qu’on est déjà capables. Pas parce que les productions seront formidables immédiatement, mais parce que quand bien même elles seraient totalement ratées: ça n’a aucune importance. On échoue, mais on a fait. Et à force de faire, on progresse, on apprend. C’est cela pertiner: non pas « avoir la science infuse » (qui de toute façon n’est qu’un fantasme inatteignable), mais se donner les moyens d’accroître ses perceptions dans un processus qui n’a PAS de fin. Alors on se rend compte que ceusses qu’on aurait pu admirer ne sont pas non plus au bout de leur démarche. Iels ne sont par pertinentts (état final), iels pertinent (état transitoire).

Un pied après l’autre.

N’admirons pas la pertinence.

Pertinons.

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